[Film – critique] Répulsion (Roman Polanski) : Les fantasmes prennent corps

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1965 – Roman Polanski tourne son premier film en anglais. Il réalise son deuxième long métrage. Berlin, Ours d’argent… Et s’impose, de manière irrémédiable et sans conteste, comme un immense réalisateur. Il le restera, après avoir creusé le sillon du fantastique et du frisson jusqu’au plus profond, là où le sublime est brut. Répulsion est un modèle, un film qui exploite toutes les ficelles du genre, réalisé par un jeune Polanski, ambitieux, inventif, certes parfois scolaire mais toujours talentueux. Tout amène dans ce film à la double conclusion suivante : Polanski sait déjà comment filmer et se jouer du spectateur, et il suffit de génie, et non d’argent, pour amener un film sur le terrain du chef d’œuvre.

Carol (Catherine Deneuve) est une jeune manucure, vivant chez sa sœur, Helen, à Londres. Elle cohabite malgré elle avec l’amant de sa sœur, Michael, qu’elle n’apprécie pas. Leurs ébats nocturnes et la place que Michael prend dans l’appartement gênent au plus haut point Carol. Elle est timide et renfermée, et ne parvient pas à se laisser séduire par Colin, un jeune homme rencontré par hasard. Helen et Michael partent en voyage…

Bientôt, les névroses et les fantasmes prennent place et le trouble s’installe à l’écran, comme chez le spectateur, qui laisse l’ambiance malsaine envahir l’écran, avec l’étrange culpabilité délicieuse d’épouser la schizophrénie de Carol…. Rien ne nous laissait croire à un tel déroulement, aussi bien à l’écran qu’en nous-même, et le film, à l’instar de Catherine Deneuve se regardant avec interrogation dans le miroir, nous renvoie à notre propre perversité : De quelle répulsion parle-t-on ? De celle qu’éprouve Carol envers les hommes? De celle qu’elle provoque chez le spectateur au fur et à mesure d’une folie grandissante? Ou bien de notre propre répulsion, celle qu’on risque d’éprouver envers notre attirance pour ce voyeurisme malsain? Car la répulsion n’est que le revers inséparable de l’attraction, une attraction inavouable pour la névrose de Carol, véritable catharsis de notre folie potentielle…

Polanski n’est pas encore le maître que l’on connaît, mais il maîtrise déjà la narration et les techniques, inventives, pour constituer un véritable huis-clos, de plus en plus oppressant. Il filme des sentiments qu’on croyait opposés, en les mêlant à une violence latente et sous-jacente qui est amenée subtilement par le réalisateur polonais. Le désir de l’héroïne, refoulé, ne peut qu’exploser aux yeux du spectateur et Carol, elle-même, sera incapable de faire la part des choses, évoluant alors sans cesse entre réalité et fantasmes, monde rêvé ou vécu. Polanski se délecte à plonger le spectateur dans le doute: l’impression exquise d’être perdu entre hallucinations et vérité qui éveille le pur plaisir du cinéphile.  Il voit Carol sombrer dans une schizophrénie ravageuse. L’atmosphère, de plus en plus violente et sexuelle, confine au voyeurisme, laissant au spectateur la possibilité d’une intrusion au plus profond de l’intimité de Carol, jeune fille aux apparences sage et prude, timide et vertueuse, qui se révèle emplie de pulsions et malade…

   

Tout au long du film, Roman Polanski sème les éléments du fantastique, au compte-goutte, sans qu’ils apparaissent comme tel à première vue. Le récit commence par un portrait de la jeune femme, dont les conflits réguliers avec sa sœur semblent à priori normaux (On ne s’inquiète pas encore). On la voit au travail, soignant des mains qui appartiennent à des corps qu’on ne voit pas (mais on n’y prête pas garde). On la voit marcher dans la rue, où le trottoir se fissure à côté d’ouvriers qui la regardent assez lubriquement (on ne prête pas plus d’attention à ces fissures -quoi de plus normal- qu’aux avances des ouvriers -classiques lorsqu’une jeune fille aussi belle marche dans la rue). Helen cuisine un lapin pour le repas (cela ne nous choque pas davantage). On voit aussi Carol qui se regarde dans le miroir (une jeune fille dans une salle de bain, est-ce étonnant?) et on la voit repousser les avances d’un jeune homme (après tout, c’est la vie d’une jeune fille…) Toutes ces situations quotidiennes, presque banales, qui composent la longue première partie du film prendront corps au fur et à mesure du film pour donner lieu à une ambiance fantastique, véritable illustration de la névrose du personnage : ce qui est réel ne l’est plus! Les visions de Carol, qui nous semblent (autant qu’à elle) bien vraies, sont comme tous ces éléments que l’on vient de citer : ils glissent naturellement de  l’existence factuelle vers la menace …

 

 

Catherine Deneuve est impressionnante, composant un rôle ambiguë et double, maîtrisant la chute dans la folie avec subtilité. Elle incarne la vision pessimiste de Polanski, sur les travers vicieux et violents de l’être humain, que l’entourage révèle. A l’instar des films suivants du réalisateur, Rosmary’s Baby et Le locataire, qui compléteront une trilogie de l’angoisse et de l’oppression du quotidien, Répulsion montre l’être humain comme victime des pressions environnantes. La fin du film, étrange, vient balancer ce constat implacable, et installer une dernière panique : et si, au fond, la folie était innée, enfouie en nous depuis toujours, sans que nous n’ayons pu jamais la détecter, et qu’un simple déclencheur social peut faire apparaître au grand jour?

Rick Panegy

Bande-annonce de Répulsion (Roman Polanski)

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