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Lundi 17 octobre. La salle Pleyel propose à nouveau un concert d’exception, un concert fort et ambitieux, sous la houlette du talentueux chef Mikhail Pletnev. Tour à tour, l’Orchestre National Russe (RNO) nous émeut, nous subjugue, nous emporte. Un Péléas et Mélisande de Sibélius aux tons graves et sensibles, et une suite du Lac des Cygnes de Tchaïkovski, personnelle et très symphonisante (arrangée par Pletnev lui-même) encadre un somptueux Concerto pour piano N°3 de Rachmaninov, dans lequel Nikolaï Lugansky montre toute l’étendue de son talent et de sa virtuosité.
Pletnev l’incontournable. La musique classique d’aujourd’hui, ne saurait se passer d’un homme comme Pletnev. Outre ses talents connus de chef d’orchestre et de pianiste confirmé, il est aussi un rassembleur, un idéaliste : il réussit en 1990 à fonder, au lendemain d’une Russie éclatée, ce formidable Orchestre National de Russie, le premier dans ce pays à être totalement éloigné des pouvoirs politiques. Pletnev a mené cet orchestre à la renommée internationale et à la reconnaissance mondiale, si bien qu’aujourd’hui, la Russie verse à la formation une subvention (une première pour un orchestre non gouvernemental). Pletnev et le RNO sont aujourd’hui synonymes d’ambition et de rigueur. La Russie peut s’enorgueillir de posséder deux des plus grands orchestres internationaux (le RNO et le Marinsky), qui peuvent redonner fierté et sentiment patriotique à la musique russe, elle-même à l’origine de certains des plus grands compositeurs (Tchaikovsky, Rachmaninov, Moussorgski …)
Péléas et Mélisande (Jean Sibélius) – 1905
La soirée débute par un Péléas et Mélisande subtil, que Pletnev rend plus majestueux et plus fort en augmentant l’orchestration : il multiplie par deux le nombre de cordes. Et l’orchestre, composé d’un nombre imposant de contrebasses et de violoncelles, spécifiquement pour l’œuvre, narre le drame romantique des deux héros de Maeterlinck. De la pièce du dramaturge belge, créee à la fin du 19ème siècle, on connait davantage l’opéra composé par Debussy. Mais auparavant, Fauré avait mis en musique une adaptation du drame, et Schoenberg avait, quant à lui, créer un poème symphonique sur cette passion. En 1905, Sibélius compose lui aussi une musique de scène. C’est celle-ci que nous livre le Russian National Orchestra. L’œuvre est absolument lyrique, se laissant parfois sans complexe aller à une exagération des sentiments. L’inhabituelle tonalité grave pour un orchestre symphonique donne à l’ensemble un aspect moins mièvre qu’il n’y parait, bien plus profond et envoûtant que l’histoire qu’il conte… L’ensemble des vents, avec en tête le hautbois de Fedkov, est formidable de maîtrise et de subtilité.
Concerto pour piano N°3 – Op30 (Sergueï Rachmaninov) – 1909
Le fameux concerto de Rachmaninov est très attendu. L’œuvre, connue pour son extrême difficulté et virtuosité, peut être jouée par peu de pianistes. Horowitz, Argerich et Ashkenazy ont fini par marquer de leur empreinte talentueuse l’œuvre du compositeur russe. Ce soir, c’est le jeune Nikolaï Lugansky qui relève le défi. Le musicien, déjà célèbre, et souvent invité par de nombreux orchestres de renommée, entre sobrement en scène. Sa démarche artistique tranche avec le sur-jeu de Lang Lang, autre star actuelle du piano, qui manque tellement de modestie que son talent semble effacé par tant de show aux allures pop. Assurément, la présence de Lugansky, plus élégante et plus distinguée que son “rival” chinois, laisse davantage de place à la musique qu’aux bassesses de l’adulation.
Rachmaninov compose ce concerto au fait de sa gloire, alors que l’Europe se l’arrache et que les États-Unis le réclament. Prudent au départ, il finit par aller aux États-Unis, ce jeune pays qu’il ne jugeait pas assez proche de la culture musicale, et c’est pourtant là qu’il jouera, lui-même, pour la première fois, ce magnifique concerto. Depuis, celui-ci est un des plus fameux du répertoire et le public est sensible, dès les premières notes, à ces enchainements mélodiques qui lui sont devenus familiers.

Nikolai Lugansky
Ce concerto N°3, c’est un dialogue permanent entre l’orchestre et le soliste, qui ne laisse que très peu de répits au pianiste. Lugansky se démène, se déchaine sur son piano pour répondre aux élans puissants des cordes et des cuivres, soutenus par des percussions remarquables. Le deuxième et le troisième mouvements sont enchaînés, laissant l’impression d’un tourbillon musical et symphonique impossible à arrêter. Le public est bouche bée devant les mains rapides et les doigts habiles de Lugansky et le final est aussitôt suivi d’une longue ovation méritée. Le public, connaisseur, loue la performance remarquable du pianiste, qui a su interpréter sans faute une œuvre exigeante. Le pianiste russe reviendra pour un rappel, rapide : probablement une nocturne de Rachmaninov…
Un conseil pour les profanes qui souhaiteraient aller écouter un concerto à Pleyel : prendre une place en arrière scène ne vous permettra pas d’entendre le son du piano, couvert par les notes plus puissantes des cuivres et des percussions. En réalité, l’arrière-scène est correcte pour les récitals, mais pour les concertos ou les symphonies puissantes (comme celles de Malher ou Dvorak…), il est fortement conseillé de ne pas y être.
Le Lac des cygnes (Piotr Illitch Tchaïkovski) – 1875
La soirée, après un entracte où l’on a pu voir les spectateurs heureux et ébahis, se termine par le célèbre Lac des Cygnes. L’œuvre, à l’origine créée pour un ballet, n’a pas été composée pour être une suite. Ainsi, la liberté est laissée à chaque chef de faire une sélection des passages qu’ils jugent représentatifs et d’en faire une suite. Pletnev nous livre ce soir une version orchestre symphonique, arrangée par ses soins, qui prouve à quel point cette œuvre de Tchaïkovski est un morceau formidable, tantôt épique et grandiose, tantôt sensible et délicat.
Chacun connaît l’histoire d’amour d’Odette et de Siegfried et la célèbre scène où le thème fameux accompagne les pas et les arabesques des danseuses et des danseurs. Mais souvent, et injustement, cette œuvre de Tchaïkovski est mésestimée, sa trop grande notoriété et popularité la desservant. La musique composée par Tchaïkovski est parfois, inconsciemment, associée au ballet, qui n’est pas le plus admirable et le plus spectaculaire. Le ballet de Tchaïkovsky lorgne largement du côté de la symphonie et Pletnev, par ses arrangements, en fait une véritable œuvre symphonique, avec cuivres et percussions violentes, cordes endiablées qui laisseront de côté, dans le final, les pizzicati et les solos émouvants du 1er violon Bruni et du hautbois Tomilova, fortement applaudie, elle-aussi.

Alexei Bruni
Le public peut remercier Pletnev d’avoir redonné ses lettres de noblesses au Lac des Cygnes. Les applaudissements durent longtemps et les spectateurs auront même l’occasion, à la sortie du concert, de faire dédicacer leurs disques par Lugansky, qui aura eu une trentaine de minutes pour reposer ses doigts, probablement meurtris par le feu des notes de Rachmaninov…

Séance de dédicaces par Lugansky à l'issue du concert
Mikhail Pletnev et l’orchestre national de Russie seront de retour à Pleyel le lundi 26 mars 2012, avec Gautier Capuçon au violoncelle.
Au programme :
- Alexandre Glazounov
Prélude de la Suite du Moyen Âge
Symphonie n° 6
- Sergueï Prokofiev
Symphonie concertante, pour violoncelle et orchestre
Rick Panegy