[Théâtre – Critique] Andromaque (Jean Racine) à la Comédie Française: Quand le théâtre se regarde le nombril…

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La Comédie Française, Jean Racine, Andromaque, Muriel Mayette… Autant d’éléments qui poussent à être optimiste avant de voir la pièce… Et pourtant, quelle déception, quelle agacement et quelle colère…

L’an dernier, Mayette monte Andromaque. Le succès est à la clef, le spectacle est repris cet été en plein air à Orange. Saison 2011/2012, elle enchaine avec une nouvelle pièce de Racine : Bérénice. La comédie française décide, on ne la remercie pas, de programmer en reprise Andromaque, afin de permettre au sectateur de voir, en alternance, les deux pièces mises en scènes par Mayette.

L’impression que la Comédie Française nous livre une véritable auto-parodie, exagérant tous les codes pour se moquer d’elle-même, nous effleure un peu mais … non, tout de même, c’est la Comédie Française : ici, on est sérieux, si c’est une tragédie, ça ne doit pas être drôle… Ah bon?!… bon…

On pense immédiatement, à la fin du spectacle, qu’on se serait bien passé de cette programmation. Mais au final, après réflexion, la reprise d’Andromaque est une bonne idée: elle permet de comprendre à quel point la nouvelle mise en scène de Mayette, Bérénice, est bien meilleure et bien plus digne que celle de l’an dernier, Andromaque, spectacle plutôt applaudi et encensé à l’époque.  En réalité, Andromaque, programmé en miroir, est un faire valoir de Bérénice. Si vous ne devez en choisir qu’un, fuyez le prétentieux et le pompeux Andromaque.

Nul ne sert de s’éterniser sur cet objet gonflé d’arrogance et de vanité. Les décors, assemblage sobre et minimaliste de colonnes et de rideaux, sont éclairés de manière variable et subtile. Bon point pour Yves Bernard qui livre une scénographie simple mais efficace. Les costumes de Virginie Merlin sont classiques, font écho aux voilages de font de scène et ne provoquent ni admiration ni rejet. Passons. Ce qui pèche, ce qui indigne et désespère, c’est la mise en scène de Muriel Mayette d’abord, le jeu des acteurs ensuite.

Muriel Mayette, pourtant capable de mises en scène classiques et sérieuses, intelligentes et ambitieuses, peut aussi se confondre dans son talent et, aveuglément, sombrer dans l’orgueil. Sans s’étendre, cela n’en vaut pas la peine, les déplacements imaginés par l’administratrice de la Comédie Française sont absurdes : les comédiens se déplacent lentement, avec gestes et regards hagards. Ils occupent l’espace avec peine, se cachant tantôt dans les voilages, tantôt tournant autour des colonnes sans raison. Mayette demande aux comédiens de s’alanguir sur les colonnes, s’adossant à elles alors que le texte éveille tensions et gravité. Elle leur impose parfois de parler longuement dos au public ou cachés derrière une colonne. Les comédiens se parlent sans se regarder, Mayette singeant Bergman sans autant de réussite. Ils dialoguent mais se croisent sans prendre en compte l’interlocuteur. Voilà une mise en scène qui montre un ensemble de comédiens bien seuls, ignorant l’autre et donnant l’image au spectateur d’une compétition d’égos : on assiste à des monologues. A l’image de Mayette, après tout, qui donne l’impression de se sentir si seule au sommet de son art qu’il n’est plus la peine de s’inquiéter de l’autre, ce public qui vient à la comédie française. Après tout, la salle Richelieu sera toujours remplie, inutile de faire l’effort…

C’est long, c’est lent, c’est pompeux et c’est rempli de vanité. Les Robins des Bois se moquaient du théâtre classique dans une série de sketches absurdes : l’ombre des comiques des années 90 planent sur la Comédie Française : un comble !  Muriel Mayette ne fait rien d’autre que donner raison à ceux qui se moquent de la fatuité de ce théâtre classique, qui se coupe du public en proposant un théâtre poussiéreux et plein d’emphase. Mayette fait même pire : elle donne l’impression de se parodier elle-même, de parodier le théâtre classique. Elle donne, hélas, le sentiment d’une vieille réactionnaire qui aurait décidé coute que coute que le théâtre classique devrait être ainsi, ennuyeux et méprisant, fait par et pour un groupe d’intellectuels malhonnêtes qui épouseraient ce théâtre malgré eux, le détestant mais sachant qu’il faut bien l’aimer pour pouvoir en faire partie. Appartenir à une élite, c’est vouloir la conserver, et ses codes avec, pour ne pas en sortir…

Et pourtant, Mayette n’est pas de ce genre : c’est une amoureuse du théâtre et, d’habitude, l’ambition de ses mises en scène prouvent son talent et son intérêt pour le spectacle.

Finissons par les acteurs, tous pathétiques, hormis peut être Cécile Brune, Andromaque droite et fière, mais qu’on voit peu dans la pièce. Le texte de Racine est difficile, les comédiens l’ont bien appris : ils articulent, ils font les liaisons etc. Mais c’est bien insuffisant pour nous convaincre : on peine à retenir ses rires parfois, ou ses bâillements. A la tête de ce groupe mal à l’aise avec la mise en scène de Mayette : Clément Hervieu-Léger, qui incarne péniblement Oreste. Sa voix, son jeu, tout disfonctionne chez lui. Hélas pour nous, Oreste est le personnage qui a le plus de répliques.. Celle qui interprète Hermione, l’autre héroïne de ce drame amoureux, est Léonie Simaga. Elle fatigue, épuise le spectateur et n’arrive jamais à faire oublier la jeune femme trentenaire des années 2011 qu’elle est. Cet anachronisme (et Hervieu-Léger avec) est bien plus gênant que la mise en scène un peu décalé de Bérénice.  Clément Hervieu-Léger fait le pigeon à la fin de la pièce, pleurnichant presque, pris de soubresauts ridicules, se perd dans l’obscurité de fond de scène pour déclamer ses répliques en hurlant. Léonie Simaga se caressent aux voilages et lance des regards inexpressifs tant ils sont abusivement exagérés, Eric Ruf (Pyrrhus) et Aurélien Recoing (Phoenix) se prélassent dos aux colonnes…

Clément Hevieu-Léger

Tout est surjoué, tout sonne faux. Tout semble poussif.

Le texte de Racine est beau. Le récit fort et tragique. Andromaque est une absolue merveille de la littérature. On aura le droit à d’autres interprétations et mises en scène plus fidèles à l’esprit de la pièce, plus dignes, plus réjouissantes, heureusement.

En attendant, le public de la Comédie Française, poli, applaudi mollement les comédiens, du bout des doigts, preuve que l’ensemble n’a pas accroché le spectateur. Preuve et humiliation supplémentaire, les retours répétés des comédiens pour les saluts lassent le public et au quatrième retour sur scène, pour saluer une fois encore, ils se heurtent à un public à moitié debout, les régisseurs ayant déjà rallumé la lumière, l’éteignant rapidement pour rattraper la bourde.

Dans la salle, comme souvent, des lycéens, des étudiants. Il est fort à parier que la plupart d’entre eux sont déjà peu convaincus de l’intérêt du théâtre (classique ou pas, et de Racine certainement). Après avoir vu cette Andromaque, combien d’entre eux seront “convertis”? Combien d’entre eux pourront dire avec plus d’assurance encore que le théâtre, c’est “nul” et  “chiant” ? Et ce soir là, ils auront eu raison…

Rick Panegy

Voir aussi l’article sur Bérénice (Mis en scène de Muriel Mayette) à la Comédie Française

Sketch des Robins des Bois “Pas facile de jouer Phèdre près d’un aéroport” : Si vous n’avez pas vu Andromaque, inutile de vous déplacer, regarder cette vidéo, c’est la même chose, mais en plus drôle…

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2 thoughts on “[Théâtre – Critique] Andromaque (Jean Racine) à la Comédie Française: Quand le théâtre se regarde le nombril…

  1. Tout à fait d’accord. J’ai assisté à la première, pensant le plus grand bien de la Comédie-Française.
    Pour une tragédie, j’ai beaucoup ri, tant c’était emmerdant. Oui, c’est vraiment le mot. Prétentieux et emmerdant.

  2. 03.03.2014 Entiérement aussi d’accord ! Par contre je ne serai pas aussi indulgent avec Andromaque -C. Brune : quelle erreur de casting ! Consternants ces trémolos, totalement inaudible les 3/4 du temps et pourtant elle doit avoir de l’expérience, enfin… triste après midi ! Nous qui pensions emmener nos petits enfants pour découvrir des pièces, des textes…eh, bien ce ne sera pas à la Comédie Française!!

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