[Ciritique – Film] Albert Nobbs de Rodrigo Garcia : Ultra irish Solitude

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Il est des talents qui resteront à jamais sous-utilisés, alors même qu’ils sont unanimement reconnus. Glenn Close fait partie de ces incroyables acteurs qui souffrent de rarement trouver un film à leur mesure. En monstrueuse Cruella D’Enfer (Les  101 Dalmatiens de Stephen Herek, 1996 ), en mémorable Marquise de Merteuil (Les Liaisons Dangereuses de Stephen Frears, 1988) ou en furieuse Alex Forrest (Liaison Fatale d’Adrian Lyne, 1987), Glenn Close aura incarné trois des rôles les plus marquants des ces dernières décennies. Le projet qu’elle porte depuis des années, l’adaptation d’Albert Nobbs, la nouvelle de George Moore, sort enfin sur les écrans en 2012. Sous la direction de Rodrigo Garcia, avec qui elle a déjà tourné deux films, Glenn Close interprète un majordome discret et timide (Albert Nobbs), qui cache au reste du monde le secret de son identité: Albert est une femme. Dans une Irlande ravagée par la crise économique, à la fin des 19ème siècle, peu de solutions s’offraient aux femmes seules pour survivre… La performance de Glenn Close, encore une fois remarquable, ne permet toutefois pas au film de sortir d’un classicisme plat et d’un manque d’ambition…

Depuis 2005 et un précédent film avec Rodrigo Garcia (Nine Lives), Glenn Close avait disparu des (grands) écrans (hormis un insignifiant Direct-to-DVD Le Temps d’un été de Lajos Koltai en 2009). C’est à la télévision, d’abord dans The Shield (2005) puis surtout en machiavélique Patty Hewes dans Damages (depuis 2007) qu’elle trouva le succès et la reconnaissance du grand public. Son retour au cinéma était, ipso facto, très attendu, et les récompenses et les nominations pleuvent (elle obtient ainsi une 6ème nomination aux oscars). Albert Nobbs, Glenn Close l’avait déjà interprété(e) au théâtre, sur les planches off-broadway, en 1982. Depuis, elle travaillait à l’adaptation cinématographique de l’œuvre: s’investissant de la production à l’écriture du scénario, Glenn Close portera le projet à bout de bras…

Elle confie la direction à Rodrigo Garcia, avec qui elle tourna, outre Nine Lives, Ce que je sais d’elle …d’un simple regard en 2000. Une réalisation traditionnelle, sans éclats ni prises de risque, linéaire et écrasée, comme pour mieux mettre la lumière sur la performance de Close. L’ambiance s’approche d’un James Ivory, sans le génie classique du plus british des réalisateurs américain.  Sans véritable fausse note de montage ou de cadrage, avec une narration linéaire maitrisée mais lissée, Albert Nobbs apparait comme un récit ordinaire et sommaire, mis en images.

A travers l’histoire tragique de ce majordome timide et réservé, femme travestie en homme depuis plus de trente ans, le film aborde la question de l’identité et de l’enfermement. Albert Nobbs est un homme depuis ses 14 ans, depuis qu’il cache publiquement son véritable genre, corseté et guindé, étouffant sa féminité jusqu’à en déformer sa voix. N’ayant jamais eu  aucune relation amoureuse ou aucun rapport charnel avec des hommes (ou même avec des femmes), Albert Nobbs ne parviendra jamais à appréhender les sentiments naissants en lui(elle), lorsqu’il sera amené à fréquenter Helen Dawes (Mia Wasikowska), une autre employée de l’hôtel, qui ne cherche en réalité qu’à lui dérober ses économies, manipulée par son compagnon, Joe Mackins (Aaron Johnson), l’homme à tout faire de la maison… Cette approche de l’enfermement dans un corps, à en perdre sa propre identité, aurait pu être traitée avec davantage de force. Les maladresses de Nobbs, dues à son ignorance des choses naturelles (qui lui confère une naïveté touchante) sont abordées presque trop subtilement…

Autour de cette impossible libération des sentiments, étouffés dans une poitrine enrubannée, le film dresse le portrait d’une Irlande ravagée par une crise économique consécutive à la terrible famine de la pomme de terre. A la fin du 19ème siècle, l’Irlande se remet peu à peu du terrible fléau et les maladies guettent la population (la scène de l’épidémie de Typhus, entrainant la fermeture de l’hôtel)… Les rêves d’évasion habitent toujours les plus démunis (abordés dans le film avec le désir d’émigration d’Helen et de Joe) et le travail se fait rare (difficulté mise en avant dans le film à travers le parcours de Joe Mackins, et celui des femmes, pour qui la survie passe par la protection d’un homme, ou par le travestissement en homme). Aucun reproche ne pourra donc être fait au film sur une approximation du contexte socio-économique de l’époque: le tout est finement et habilement rendu, fondu dans l’intrigue sentimentale et existentielle  de Nobbs.

Janet McTeer (Hubert Page)

Les plans nombreux sur les yeux de Nobbs, fixes et immensément neutres, et sur son visage impassible, observant le monde qui l’entoure, sont l’essence même du film: jamais Nobbs ne fera partie du monde dans lequel il vit, incapable de s’y plonger, et incapable d’assumer pleinement toute son humanité, davantage perdu dans son ersatz d’identité qu’animé d’une véritable volonté d’en sortir… Glenn Close parvient avec une incroyable justesse à faire de ce majordome hors norme un individu coincé dans son incapacité à communiquer, sans en faire un être dénué d’intelligence: elle compose un individu hésitant, incapable de maitriser son rapport à un monde qui ne lui en a jamais donné la possibilité…  Au delà de la performance de Close, l’amenant avec une évidence prévisible à la nomination à l’Oscar (qui finira dans les mains de Meryl Streep, transformée et grimée elle-aussi, dans la Dame de Fer), c’est la composition de Janet McTeer, en lesbienne assumée, qui touche vraiment. La femme qu’elle incarne, se travestissant elle-aussi en homme (un Hubert Page séducteur), pour pouvoir vivre sa relation de couple homosexuel pleinement, et pour pouvoir travailler et participer à l’équilibre financier du ménage, est le miroir terriblement vivant et humain d’Albert Nobbs, connaissant et maitrisant davantage le monde qui l’entoure que le domestique, enfermé depuis 30 ans dans un rôle, une chambre, un bandage…

Glenn Close nous conte l’histoire émouvante de cette femme au destin tragique…. Dommage alors que la magie émotionnelle ne prenne pas, un climat de course à la performance semblant animer le film, au point d’orienter la mise en scène vers l’unique mise en valeur de Glenn Close…

Rick Panegy

Regarder la bande-annonce du film Albert Nobbs de Rodrigo Garcia (2012)

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2 thoughts on “[Ciritique – Film] Albert Nobbs de Rodrigo Garcia : Ultra irish Solitude

  1. Oui, ce film est tentant mais j’ai du faire le choix de ne pas le voir. Surtout que je lis partout que le film n’est pas non plus extraordinaire malgré l’interprétation de Glenn Close. Je n’avais pas réalisé qu’on ne l’avais pas vu au cinéma depuis 2005. En Patty Hewes, elle est géniale ! A bientôt.

    1. Oui, le film est un peu décevant, en deça des espérance et du potentiel… Mais l’interprétation de Glenn Close et AUSSI de Janet Tier est très bonne ! Et oui, ça faisait longtemps qu’on ne l’avait pas vu au ciné, mais son rôle de Garce ds Dammages a en effet marqué tous les esprits ^^

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