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Lia Rodrigues, la chorégraphe brésilienne, explorait en 2000 ce dont nous sommes faits. Et sa conclusion, tour à tour suspendue au temps, à l’espace, puis imprégnée de rage et d’optimisme, guidée par une conviction humaniste forte et enfin motivée par la simplicité des corps et leurs incroyables possibilités, s’exprime dans ce spectacle pluriel.
Ce dont nous sommes faits débute par plusieurs tableaux quasi statiques, où la nudité, frontale, ne relève jamais de la provocation. Lorsque le premier danseur s’installe, à genoux, visage entre ses cuisses, et que ses mains glissent lentement le long de ses clavicules pour finir par cacher sa tête, tout est dit : il n’y a plus d’esprit, nous ne sommes d’abord faits que de corps. Et Lia Rodrigues leur rend un hommage appuyé et gracieux en les mêlant, les déformant, jusqu’à n’obtenir rien d’autres que des créatures hybrides, doublées d’humanité. Les corps de Rodrigues expriment la multiplicité de l’Homme, et invite chacun au mélange.
L’utilisation original de l’espace scénique en est d’ailleurs un argument supplémentaire : aucun gradin, aucune scène, les spectateurs sont mêlés aux danseurs de la Companhia de Danças, assis à même le sol. Seules les jeux de lumières, verticales, les séparent des danseurs. Aucune musique, aucun décors, aucun costume : l’être est mis à nu. Nous ne sommes faits, à l’origine, que de chair, tous : malgré les différences de peau, de sexe, de taille, mises en avant par la nudité, c’est l’unité dans l’altérité qui se dégage de ces premiers instants. Nous ne sommes jamais aussi proches les uns des autres que lorsque nous dévoilons nos différences…
Mais rapidement, les corps se rhabillent, et la musique accompagne les danseurs, tantôt virevoltant parmi la foule et criant des slogans publicitaires, des marques, des personnalités people, tantôt dansant dans l’espace rapidement défini, encourageant le spectateur-citoyen à être courageux, à oser, à revendiquer : nous sommes aussi fait d’esprit et nous sommes aussi fait d’idées. Nous sommes fait d’esprit critique et -l’exhortation de Lia Rodrigues se résume pour ainsi dire à cela- nous devrions davantage nous en servir.
Le melting-pot envahit la salle, et dépasse le cadre du Brésil, pays de la compagnie : les frontières sont bannies et le monde entier, au regard de ce que nous révèle la chorégraphe, est un ensemble varié et divers. Les spectateurs, qu’ils soient de France ou d’ailleurs, font partie de cet ensemble multiple, intégré au projet par le manque de frontière scénique. Lorsque la compagnie sort de la salle, par une porte latérale, le public, désorienté, suit instinctivement les danseurs : le but de Lia Rodrigues est atteint. L’unité se respire… L’envie de liberté se répand comme une trainée de poudre, exaltée par l’énergie et la vigueur des danseurs.
Rick Panegy
Pour information :
Les créations de Lia Rodrigues (toujours en collaboration avec ses danseurs) :
1990 Gineceu
1992 Catar
1993 Ma
1993 Folia (version compacte)
1997 Resta Um (pour le Ballet du Teatro Municipal de Rio de Janeiro)
1998 Folia (version intégrale)
1998 Performance pour l’ouverture de l’exposition Rétrospective de Lygia Clark, Paço Imperial, Rio de Janeiro
2000 Ce dont nous sommes faits
2001 Dois e um dois, SESC RJ
2001 Performance pour l’oeuvre Teresa, du plasticien brésilien Tunga, pour l’ouverture du Centro Cultural Banco do Brasil, São Paulo
2001 Participation au projet Anos 70 : Trajetórias, Itaú Cultural/SP
2001 Buscou-Se portando falar a partir dele e não sobre ele (coproduction Culturgest, Lisbonne, Portugal)
2002 Formas breves, Dança Brasil, Centro Cultural Banco do Brasil, Rio de Janeiro et Brasília
2005 Incarnat, Centre National de la Danse à Pantin /Festival d’Automne
Les Fables à la Fontaine Contre ceux qui ont le goût difficile, projet conçu par Annie Sellem de La petite fabrique
2007 Hymnen, pièce pour le Ballet de Lorraine (collaboration artistique Lia Rodrigues, Gérard Fromanger et Didier Deschamps)
2008 Chantier Poétique en préfiguration de Pororoca, première CND/Festival D’Automne à Paris
2009 Pororoca , pièce pour 11 danseurs, première CNDC d’Angers DP Pororoca – 3/4
2011 Piracema , pièce pour 11 danseurs, première Centquatre/ Festival d’Automne à Paris
Crédit photos : Sammi Landweer