[Film – Critique] Leave it on the Floor de Sheldon Larry : Strike a pose, there’s nothing to it.

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Les talons claquent, les regards mitraillent, les paillettes pleuvent et les bons mots fusent : jamais dans Leave it on the Floor la demi-mesure ou la retenue ne viennent apaiser la formidable énergie qui se dégage de ce film aux allures de cri de vie. Plongée enlevée dans le Los Angeles qui brille dans l’ombre : d’abord, l’ombre de celui qui rejette la différence des jeunes gays, mais aussi le lumineux humanisme -nait du désespoir- de celui qui accueille, qui survit, qui réagit. Ici, et encore aujourd’hui semble soupirer le film, de jeunes gays sont désavoués par leurs parents et ne trouvent refuge que dans ces familles “recomposées”, où tous les “freaks malgré eux” se construisent une vie : ce sont les rooms, ces maisons ultra-codifiées, et qui s’affrontent dans des balls où la danse, le maquillage, les costumes font place à la créativité, comme une extériorisation exutoire d’un trop plein de rancœur.

Sheldon Larry livre un film remuant et résolument vivant, en forme de musical trépidant, sautant sans nuances de n’importe quel genre de la comédie musicale (du hip hop au pur classicisme de la chanson de musical, en passant par le gospel…) au mélodrame le plus excessif. La forme manque intentionnellement de sérieux, à l’image de ses héros qui fuient la douleur du monde dans la démesure festive. Il semble évacuer volontairement la gravité de son sujet, qu’il aborde pourtant en filigrane, en trame de fond. Leave it on the Floor est aussi léger que tragique et c’est ce tour de force qui donne au film son élan de sincérité émouvante.

On pense évidemment à Paris is Burning de Jennie Livingston (1990), la fiction en plus ici, permettant la distance et la romance, l’humour et l’ironie. Car Leave it on the Floor aborde, comme son illustre référence, ce communautarisme LGBT de Los Angeles : se regrouper en familles serait l’unique issue. L’achèvement de ce chemin de croix ne serait-il pas, pour ces jeunes exclus, de trouver une place dans le monde, un respect perdu ou une estime abîmée ? C’est par le voguing que ces familles s’expriment, au cours de ballrooms endiablés (les premières minutes du héros dans ces lieux underground sont un délicieux moment d’excès). Le mouvement, né dans les années 60, est devenu un véritable culte (Mis au goût du quidam par Madonna avec son célèbre tube Vogue). Sheldon Larry décrit les codes de cette culture de l’outrance, parfois avec admiration, souvent avec second degré et autodérision (le personnage Eppie Durall, excessif jusque dans son nom). Les chorégraphies de Frank Gatson Jr (chorégraphe de Beyoncé) mêlent au folklore une imagerie familière.

Les amourettes et le badinage des héros, qui surfent entre batifolage et jérémiades adolescentes, donnent à ce musical emporté des allures de soap au premier abord déroutantes, tant la lourdeur de ce que vivent les personnages, rejetés, semblerait mériter traitement plus raisonnable et plus grave, et au regard, surtout, de l’indignation que devrait provoquer cette société moderne qui s’enfonce inlassablement dans la culture de l’expatriation et de la récusation, l’archaïsme en banderole. Mais derrière cette surprenante différence de ton (comédie, rires ou au contraire larmes et cris exagérés, comme un mélo poussif de télévision de fin d’après-midi), Leave it on the Floor fait jaillir la joie en abondance et l’amour en opulence : l’amour de l’autre, de la vie malgré tout, de soi surtout. C’est avec une dérision et une distance salvatrice que les personnages, au rebut, affrontent leur quotidien : la légèreté comme religion, la désinvolture comme doctrine, ils balayent d’une main le poids de la culpabilité. Le film est à leur image, de bout en bout : ne surtout pas se prendre au sérieux, ce qui arrive l’est déjà trop…

Rick Panegy

 

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