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Solennelle, sentencieuse, cérémonieuse et abusivement étirée à de trop nombreux moments, la création de Lemi Ponifasio, IAM, divise le public du Festival d’Avignon. Dans un spectacle très esthétique, l’artiste rend hommage aux morts de la grande guerre, et plus largement, à tous les êtres victimes. Inégal, presque inabouti, IAM peine à séduire, il s’avère pourtant très prometteur et rempli de belles choses !
Un immense monolithe noir horizontal recouvre le centre de la scène de la Cour d’Honneur du Palais des Papes. Aucune couleur, sinon celle du sang en milieu de spectacle, ne viendra briser la cohérence monochromatique. Les décors feraient presque penser à du Pierre Soulages. Après que La Marseillaise eut retenti en guise de prologue, I AM ne propose pendant 1 heure que de longues traversées, des chorégraphies approximatives, des transitions maladroites, des combats et des cris étranges, qu’on peine à saisir, faute de références, d’aides illustratives ou narratives. Ainsi, un homme, torse nu, gesticule très longuement ses bras, ou une femme, qui semble très en colère, clame face public et le regard noir et agressif on ne sait quelle harangue de quinze bonnes minutes. Cette longue première partie y gagnerait sans doute avec quelques “retouches”, et il est possible que Ponifasio corrige peu à peu ce début de spectacle.
Puis, peu à peu, le spectacle s’améliore, sans toutefois sortir tout à fait de son ton excessivement pontifiant. Malgré tout, on glisse d’un cérémonial quasi religieux, d’une procession à un argument d’un style plus proche du témoignage, et on s’éloigne de la commémoration. Les tableaux sont, par moment, captivants et beaux : trois femmes marchant sur la scène inclinée, puis la descendant face public ; un femme, vêtue de blanc, recouverte de roses blanches et de sang ; un homme, nu, traversant au ralenti la scène et brisant un long silence dans une chute assourdissante ; un chœur, mémoriel (samoan ou maori), dont le chant est peu à peu recouvert par un bruit étourdissant, éclairé de stroboscopes faisant jaillir des corps immobiles des ombres animées et multiples ; des vidéos sur les parois de la cité ; les textes d’Antonin Artaud ou d’Heiner Muller récités ou projetés qui donnent un sens grave et majestueux. Ainsi, par moment subjuguant, avec de longs moments où le temps semble suspendu, IAM implore et invite à la mémoire. On trouve cela fascinant ou absurde, c’est selon…
La symbolique est parfois insaisissable, parfois lourde. Celle de l’homme crucifié, abattu, martyrisé (par lui-même semble dénoncer Ponifasio) et qui renait au cours d’un baptême saccadé, comme une pâques étrange, est si didactique qu’elle gâche presque la beauté du tableau précédent. Bientôt, c’est la résurrection des Hommes dans leur ensemble, suivie d’une prière prophétique, qui nous est livrée. Reconnaissons à Ponifasio le sens du grandiose et du spectaculaire. Sauf que, par moment, on frôle le pompeux. La frontière avec le ridicule n’est alors jamais loin. Dans la Cour d’Honneur, les réactions sont extrêmes : des bravos se mêlent aux huées ; des spectateurs se lèvent pour applaudir, d’autres quittent la salle avant la fin.
Deux choses sont en réalité reprochables à Ponifasio dans IAM. La première, c’est qu’à aucun moment l’émotion ne gagne le spectateur, alors qu’il assiste à une cérémonie d’un ordre quasi mystico-religieux ; aucun frisson ; le public reste trop spectateur, un témoin sans sensation. C’est presque un contre-sens au regard de ce qu’a voulu montrer Ponifasio (les horreurs de la guerre, le rapport de l’homme à son alter-ego, à la violence et aux âmes perdues). La seconde, c’est que le spectacle paraît bien trop inégal pour l’estimer totalement abouti, voire fini : la seconde partie séduit davantage. Il semble en effet que le spectacle gagnerait à être travaillé encore, dans sa première moitié surtout, en terme de rythme (pour éviter les trop nombreuses longueurs), en terme de cohésion de groupe (des espaces et des chorégraphies de mise en scène imparfaits, contraires à l’esprit très codifié d’une cérémonie!) et en terme d’équilibre (par exemple, les gesticulations et les cris d’un homme côté cour couvrant les discours).
Il y a beaucoup de tragique et de sérieux dans IAM. Il y règne une lourdeur permanente, une atmosphère pesante. Certains se sentent agressés, puis sermonnés par un prêche infantilisant. D’autres, séduits par l’extrême “esthétisation” de la proposition, et par la radicalité de ses choix, saluent l’audace. Force est de reconnaître que ce programme, dans la Cour d’Honneur, est le reflet d’un non-conformisme total : il est accepté comme tel ou il est jugé spéculation ou escroquerie intellectuelle. Les avis sont forcément tranchés.
Rick Panegy