[Comédie Musicale – Critique] Le Bal des Vampires à Mogador

Lâchez les brides : Il n’y a rien d’autre à faire pour apprécier ce voyage en “démesure musicale”, extravagance baroque excessive en étendard !

Le musical de Roman Polanski, Michael Kunze et Jim Steinman arrive enfin en France, 17 ans après sa création à Vienne en 1997, et après un parcours auréolé d’un franc succès populaire partout où il passa (Hongrie, Allemagne, Estonie, Pologne, Russie, et même Japon…) sauf aux Etats-Unis, où il fut un échec à Broadway. Polanski n’y assurait pas la mise en scène (pour les histoires d’affaires de mœurs que l’on sait) et celle-ci, attribuée au compositeur Steinman, à qui l’on assigna un co-directeur, était forcément chaotique. Malgré la présence (fortement négociée) de Michael Crawford, le célébrissime premier Fantôme de l’Opéra d’Andrew Lloyd Weber, Le bal des Vampires ne resta dans le temple du Musical que quelques mois, et fut un échec de presque 12 millions de dollars… Qu’importe le camouflet américain ! Revanche dans les pays d’Europe de l’Est où le spectacle est culte : Lors du Revival du spectacle à Vienne en 2009, chaque représentation était un évènement costumé délirant. L’Europe de l’Est aurait-elle tout compris au plaisir de l’abandon dans le ridicule et la surenchère ? Et surtout, la France est-elle prête à faire le pas, là où la musique de Steinman est peu connue ? Là où le vampire n’est qu’un exotisme lointain ou une caricature hollywoodienne ? Le Bal des Vampires, pourtant, est une fête kitsch et grotesque, délicieusement outrancière et pop ; et l’adaptation en français du livret de Kunze est assez réussie. Le retour de Polanski à sa propre mise en scène assure une certaine crédibilité à cette version française.

C’est peu dire qu’on attendait personnellement la version française avec impatience ! Le Théâtre Mogador  se construit décidément une crédibilité en comédies musicales (là où les Folies Bergère peinent à séduire avec des productions moins rigoureuses) : Le Roi Lion, Mamma Mia, La Belle et la Bête avaient posé les jalons. Mais ils étaient un pari autrement moins risqués que ce Bal des Vampires.

Pour deux raisons au moins : d’abord, le livret de Michael Kunze, adaptation du film éponyme de Polanski de 1967, va à l’encontre des codes narratifs les plus usuels des musicals. Le livret de Kunze assure en effet une fin radicale et inhabituelle aux héros, aux antipodes des happy-end classiques. Et surtout, le sous-texte sexuel est omniprésent. Le livret assure la victoire du sexe sur la pudeur, le triomphe de la passion sur la raison et la consécration de l’impur sur le pudique. On a vu plus politiquement correct ! La seconde raison, c’est la musique de ce musical, qui n’est pas celle que le public (français) a l’habitude d’entendre, dans sa très jeune éducation à la comédie musicale (celui qui croit en tout cas que la comédie musicale, c’est un best-of de chansons populaires tout droit sorti de hits du Top50, tel que le proposent Mamma Mia, Love Circus, Salut les Copains…). Si la construction musicale du spectacle respecte en tous points les codes du musical, elle s’en détourne par un style, assuré, presque ringard, pour le moins rétro : des élans pop très 80’s, des attaques de cuivres, des saillies virtuoses de pianos et de violons, et des reprises de percussions tonitruantes dans d’interminables jaillissement de grandiloquences. La musique de Jim Steinman n’est pas celle de la subtilité. Connu en France pour ses compositions chantées par Bonnie Tyler (Total Eclipse of the heart, Holding out for a Hero…), Meat Loaf (I’d do anything for love -but I won’t do that) ou Céline Dion (It’s all coming back to me now, reprise des Pandora’s Box), le compositeur américain n’hésite pas sur la lourdeur de ses arrangements, sur la surenchère de variations et la multiplicité de thèmes dans un seul morceau. Bourrés d’élans wagnériens pop assumés, la musique de Steinman déroute sans doute l’habitué et l’amateur de la classique chanson de Musical. Pourtant, Steinman reste fidèle aux invariants de la comédie musicale : des thèmes multiples, et clairement définis, correspondant aux personnages ; des répétitions du thème principal, avec variations ; une chanson “phare” (que Steinman reprend de son propre répertoire : c’est en effet Total Eclipse Of The Heart qui devient l’hymne vampirique) ; un comic relief incontournable du musical nettement présent dans sa composition ; des duos / trios avec nuances de tonalités ; et les inévitables power notes, celles qui concluent une chanson en s’éternisant, souvent exécutées avec puissance et force démonstration vocalistique !

Deux parties mènent tambour battant jusqu’au dénouement horrifique, mêlant aux chants des chorégraphies collectives tantôt inventives (jeux de reflets et d’absences de reflet des danseurs “vampires” dans un faux miroir, avec autre danseur exécutant les mêmes gestes inversés), tantôt spectaculaires (la sortie des “freaks” des tombes du cimetière, chorégraphie frontale, est un délice ; ou celle encore, où les deux jeunes héros se font mordre pendant leurs rêves). Premier acte : l’auberge accueille le professeur Abronsius et son assistant Alfred, chasseurs de vampires prêts à partir à la recherche du comte Von Krolock. Le jeune Alfred s’y éprend de la belle Sarah, fille de l’aubergiste. Mais elle est enlevée et c’est au château du comte qu’il faudra aller la rechercher, où se prépare un bal. Deuxième acte… Le château et ses vampires. Rien de bien extraordinaire dans la narration mais ces deux actes sont accompagnés d’effets d’humour nombreux, d’un second degré omniprésent, d’une multitude de costumes et de danses qui, ajoutés au sous-texte sexuel et homosexuel très fort, donnent au tout des allures de fête où tout est “un peu trop”. Mais l’excès est euphorisant…

Que ce soit l’auberge sur plateau tournant (qui permet ses meilleures scènes au couple aubergiste, le comic relief du spectacle, relayé dans le second acte par le tandem Abronsius/Alfred) ou dans le château du comte (un décor à la Giger, des colonnes qui tombent et se relèvent, des pierres tombales qui passent de la verticale au plan incliné, une salle de bal -certes un peu vide-, des façades ou des cryptes inquiétantes), les décors du spectacles sont autant à saluer que les costumes (plus de 200 au cours de la représentation!). Ce qui n’est pas toujours le cas de tous les interprètes : Stéphane Métro est un Comte Von Krolock un peu décevant, on lui aurait préféré un chanteur plus baryton que ténor (à l’instar de la version que nous avons vu en Autriche), cela aurait apporté plus de “sexual tension” encore et de virilité au rôle qui, par moment, prend ici des allures de Dr Frank-N-Furter! Stéphane Métro remplace au pied levé Dumé (déjà présent dans le musical Robin des bois), il gagnera peut-être en charisme au cours des prochaines représentations… Raphaëlle Cohen est une Sarah parfaite d’équilibre entre désir et innonce et le professeur Abronsius est incarné par un David Alexis efficace, qui recueille beaucoup d’applaudissements. Mais l’ensemble du casting est globalement à la hauteur !

Avec le Bal des Vampires, vous avez Broadway et le West-end au cœur de Paris ! Il serait bigrement dommage de manquer le spectacle et de lui préférer les incomplets Flashdance ou autre brouillon Love circus. Ce musical, respectueux de tous les codes du genre, ne peut décevoir les véritables amateurs du genre ! Allez-y, et revoyez par le même occasion, avant ou après, le film de Polanski dont cette comédie est l’adaptation réussie !

Rick Panegy

[alert variation=”alert-info”]Au Théâtre Mogador, le Musical Le Bal des Vampires : plus d’information ici.[/alert]

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