[Cinéma – Critique] It Follows de David Robert Mitchell

Réunissant deux éléments clefs des obsessions adolescentes, le sexe et la mort, David Robert Mitchell fait mouche avec It follows. Film d’épouvante modeste, il n’en reste pas moins fidèle au genre et bougrement efficace. Une bonne surprise.

It follows débarque en salle avec une sacrée réputation. Et une sacrée légitimité : le Grand Prix du dernier Festival du film fantastique de Gérardmer en poche, après avoir reçu le Prix de la Critique Internationale au Festival du film américain de Deauville, le petit film horrifique sans stars de Mitchell n’est pas un “film qui fait peur pour ado” de plus. Certes calqué sur les balises éculées des slashers, It Follows n’en est pas moins différent. Et pour plusieurs raisons. Il séduit ainsi par sa fraicheur, son sens de la manipulation et par son honnête respect envers ses ainés horrifiques cultes. Un habile mélange de nouveauté et de tradition dans ce qui pourrait devenir une franchise rentable…

Fraiche – L’hécatombe en masse de jouvencelles coquines et d’éphèbes égocentriques, répétée ad libitum jusque dans le revival des années 90 et 2000, est définitivement terminée. Les slashers ne font visiblement plus recettes ; de tueurs en séries pour films d’horreur gentillets (Scream, Souviens-toi l’été dernier…) les productions avaient fini par sombrer dans du bien plus trash (Hostel, la franchise des Saw …). Comme pour tout, le public s’en est aussi lassé et a préféré la peur du surnaturel (de destination finale dans un premier temps à paranormal activity et autres conjuring…). Voilà donc qu’aujourd’hui It Follows réussit haut la main la synthèse de tout cela : poursuivi par une “chose inconnue”, visiblement immortelle et venant d’on ne sait où, prenant la forme de divers êtres humains (parfois effrayants), un groupe d’adolescents doit survivre, et échapper à une série de meurtres a priori sanglants (la première scène est ainsi très claire : elle montre de manière on ne peut plus franche l’enjeu de la fuite des teenagers). Pas de chance, c’est en couchant que le fautif “chope” l’indécrottable créature, qui le poursuivra lentement jusqu’à le tuer. Double malchance, personne ne voit vraiment cette créature, si ce n’est celui ou celle qui a couché.

La belle idée d’It Follows ? Mêler sexe et mort. Et en cela, il applique une recette qui semble d’une évidence limpide. Les obsessions adolescentes se limitent souvent à peu de choses : des pulsions de morts, des questionnements existentiels et un quotidien rythmé par la libido. Cible première, le public adolescent est donc au cœur de l’identification (jeunes héros tout juste pubères évidemment), y compris inconsciente : ici, le sexe et la mort sont dialectiquement liés. En effet, ce “it” inconnu, prenant forme humaine, qui poursuit et tue froidement,  est “attrapé”, telle une MST, lors d’un rapport sexuel. Celui-ci est donc ici possiblement mortel. Le désir et la frustration en sont démultipliés (à l’image du personnage Paul). Mais le rapport sexuel, également moyen d’échapper à la mort, en “refilant” le mal au partenaire sexuel choisi, devient par là-même l’objet de toute la culpabilité suprême. Le sexe, comme pulsion morbide, implique ici soit punition, soit culpabilité. Malin. L’adolescent, premier spectateur, est au cœur de l’angoisse.

Manipule-moi – Des effets visuels ou sonores, des promesses d’hémoglobine, It Follows en fait peu. Et s’engage peu. Il y en a dans les dix premières minutes, et puis plus rien. La scène d’ouverture en effet semblait promettre tout cela: action et sang, gore et trash. Puis ça se calme fort… Le spectateur, placé dès le début du film dans une attente voyeuriste d’épouvante, est quasiment en permanence frustré : tout restera par la suite tendu, comme une course poursuite qui ne doit jamais s’achever, ou un élastique au bord de la rupture. Habile manipulation de l’attente du spectateur. Redoublée par celle qui consiste à tourner en rond au bout d’un certain temps : le “It” poursuivant la jeune fille audacieuse qui a couché, et celle-ci passant son temps à fuir, il en faut peu pour que le principe tourne à vide rapidement. Impossible de faire en sorte que la belle soit rattrapée, elle serait tuée. Impossible de mettre en route le meurtre des “copains”, le “It” ne poursuit que celle/celui qui l’a “contracté” par un rapport sexuel… Scénaristes pris à leur propre piège ? Le résultat est pourtant tout autre : pris à la gorge par l’angoissante poursuite de la jeune fille par le “monstre” , le spectateur finit par convenir qu’il ne peut y avoir d’autre issue que la fuite, tout en espérant malicieusement que cette fuite cesse enfin et que la chose rattrape la jeune fille. De l’action que diable, s’écrit-on. Un sentiment qui fait appel à nouveau à la culpabilité : souhaiterions-nous la mort inévitable de l’innocente ? Et qui fait appel en parallèle à un sentiment de sadisme obligé : pour que le film ne finisse pas, la souffrance de la belle doit continuer. Double stratégie de la manipulation. La frustration du spectateur comme source de son propre plaisir coupable… Bien joué.

Respect – Enfin, la réalisation de David Robert Mitchell, tout en sobriété, relève de tous les codes établis par ses ainés en matières d’horreur : des jump scares à la musique (incluant un thème pour l’approche du “It“), en passant par les lents travellings ras du sol, les caméras à l’épaule pour effet réaliste, les caméras subjectives, la mise en scène reprend tous ce qui a fait ses preuves, depuis Halloween et vendredi 13, jusqu’à Conjuring… Le film de Mitchell possède l’ambiance en plus, très “Carpenter” (jusque dans la musique). Et dans la tradition des films d’épouvante teenage, la construction narrative d’It Follows est classique, de l’innocence perdue jusqu’à l’émancipation, en passant par la scène finale en huis-clos incontournable, le tout dans une superbe Detroit délabrée, sa banlieue abandonnée résonnant idéalement comme élément effrayant.

Le format et l’idée d’It Follow autorisent tous les fantasmes possibles : la suite, ou la franchise, est facilement envisageable en cas de succès. Le film procure en tout état de cause l’excitation nécessaire au plaisir, nourrissant le spectateur d’une tension au compte-goutte. Repus jusqu’à récemment par d’innombrables films les gavant d’une trop grande générosité d’horreur, jusqu’à la nausée, les spectateurs retrouveront ici le goût de l’équilibre malsain…

Rick Panegy