[Théâtre – Critique] Le Mariage de Maria Braun de Thomas Ostermeier

Invité de dernière minute au Festival d’Avignon, Thomas Ostermeier a ses groupies. Son spectacle Le Mariage de Maria Braun, bien que datant de 2007, est une reprise qui remplit la cour du Lycée Saint-Joseph ! Cinq représentations seulement, et devant le lycée, beaucoup d’amateurs espèrent trouver une place de dernière minute. Le Directeur de la Schaubüne de Berlin (depuis 1999) est une star. Son simple nom rehausse la plateau de la programmation du Festival d’Avignon 2014, en peine de têtes d’affiche.

Adapté du film de Rainer Weiner Fassbinder (1978), la pièce d’Ostermeier est la démonstration de l’efficacité d’une scénographie bien pensée : simple et fluide, elle n’en est pas moins ingénieuse et intelligente. Avant l’explosion finale, brutale -tant au niveau du récit que de la scénographie- Le mariage de Maria Braun aura combiné l’économie de moyen à la force visuelle, réduisant au maximum tous les éléments de théâtre jusqu’à la quasi épure, tout en recherchant méthodiquement la productivité des effets, de l’émotion, de la sensation ou de l’impression.

Économie de décors, de comédiens, de vidéo, de jeux de lumières. Ostermeier fait vivre sa pièce à travers un système de transitions, de glissements, de masques et de basculements : les comédiens qui gravitent autour d’Ursula Lardi (sublime Maria Braun) jouent plusieurs rôles, incarnant tantôt un juge ou un soldat, tantôt la mère ou un contrôleur, se travestissant parfois sur scène ; les décors suggèrent plutôt qu’ils ne représentent, quelques chaises ou tables suffisant pour passer d’un salon à un wagon, une boîte de nuit ou une salle de réunion… Le glissement érigé en mécanisme, l’illusion et le travestissement en système, c’est toute l’histoire narrée qui se reflète dans la mise en scène de l’artiste allemand. Celle d’une femme qui incarne un pays en reconstruction ; une femme qui passe de rescapée d’un état en déroute en femme d’affaires, avant de redevenir martyr. Un pays détruit, bourreau puis déchu, qui refonde et rebâtit. Une femme et un pays qui, en l’espace de quelques années, ont incarné tout et son contraire, ont fuit, ont nié, ont corrigé : des destins de costumes et de conversions…

L’espace d’une dizaine d’années, évoquées symboliquement au début du spectacle par les vidéos d’Hitler ou à la fin par quelques images de la victoire de l’Allemagne en finale de la coupe du monde de football en 1954, Ostermeier, dans le sillage de Fassbinder, évoque la misère et la grandeur d’un pays en pleine transition. Maria Braun, qui aura contribué au redressement d’un pays en crise, achève son parcours tragiquement, trompée, humiliée, quand l’Allemagne triomphe enfin. Destins croisés, entre mortification et honte collectives, résurrection d’une nation et effondrement personnel. Il y a dans le destin de Maria Braun un constat doux-amer, celui du paradoxe d’un nouveau système économique qui, s’il engendra la force de tous les possibles pour les individus -par la fin de l’abomination- entraina des rapports humains pervertis par la course à la réussite individuelle, érigeant l’égoïsme et le profit en amnistie.

Évocation de l’évolution des sociétés, rythmées par le changement, les ruptures souples, les mutations silencieuses et les jeux de tiroirs de la concurrence, Le Mariage de Maria Braun est une réussite formelle indéniable, tout en cohérence avec son propos, portée formidablement par la troupe entière. Un théâtre politique et sociologique tout en fluidité, en évocation et en simplicité. Une réussite.

 Rick Panegy

Au Festival d’Avignon 2014

Au Théâtre de la Ville