Sans perdre de sa véhémence sombre, Marilyn Manson emprunte, avec son neuvième album studio, une route plus rocailleuse, teintée d’un blues assuré. Dans The Pale Emperor, la rébellion n’est plus adolescente (la perte de sa mère l’an passé y est sans doute pour quelque chose), ni viscérale, elle est désormais robuste et impitoyable, comme celle d’un vieux routard aux positions assumées, bien que mélancoliques et sceptiques.
[blockquote right cite=”Killing Strangers”]We don’t need a bigger knife Cause we got guns You better run[/blockquote]
Dès les premières notes du premier titre, Killing Strangers, la guitare electro aux cordes grésillantes accompagne la batterie classique de Gil Sharone, classique du style Manson, et plonge d’emblée celui qui écoute dans une ambiance métal blues. La chaleur du white trash des provinces américaines ou les banlieues bourgeoises crasses d’ignorance des mégapoles débarquent dans le casque en même temps que les riffs éplorés. Mais derrière ce blues éléctro, Manson ne perd rien de son ton incisif : crachant sur la bêtise religieuse, hurlant sur la violence patriotique (Killing Strangers), questionnant nos destinées (The mephistopheles of Los Angeles), le rockeur provocateur creuse le sillon de l’insoumission à la masse aveuglée (notamment dans The devil beneath my feet ou sa voix se fait roulante et grave ).
[blockquote right cite=”Deep Six”]You want to know what Zeus said to Narcissus? “You’d better watch yourself”[/blockquote]
Celui qui s’attire toujours ici et là les foudres des conservateurs (des concerts perturbés, des shows encore annulés…) n’entend pas assagir sa plume. Il a simplement perdu la colère sanguine de ses débuts (celle d’Antichrist superstar ou de Mechanical Animals) et y gagné -c’est encore mieux- un ton plus désabusé : désobéissant et rebelle, Manson n’a ni foi ni loi et mêle à présent à son mépris et à sa délicieuse ironie le dépit d’un être définitivement désillusionné. Hormis Killing Strangers, où il moque le flingue à tout va des virils défenseurs d’une certaine Amérique auto-centrée, on aime particulièrement Deep six, agressif et sale, presque rétro, franchement bien écrite, entre conseil moqueur et sarcasme subtil ou les titres acoustiques dans la version Deluxe (surtout Faded, Fateful, Fatel, où le Johnny Cash des dernières années résonne par intermittence…). Quant à cupid carries a gun, il résume à lui seul le son de l’album, de la guitare à l’ambiance “fin des illusions”, jusqu’à l’écriture incisive et son thème.
[blockquote right cite=”Deep Six”]Love is evil Con is confidence Eros is sore Sin is sincere[/blockquote]
Si Manson est toujours à l’écriture, la composition est ce coup-ci partagée avec Tyler Bates, lequel est à la guitare également. Diable que cette collaboration est idéale : Tyles Bates apporte à chaque titre de Manson son doigté lascif et quasi-glauque, et il n’est pas étonnant -connaissant le parcours du bonhomme : compositeur de musiques de film notamment) de ressentir par moment des émotions cinématographiques et des images fulgurantes de films où approcheraient l’apocalypse, ou le crépuscule d’une civilisation… L’intro de Warship my Wreck, par Tyler Bates, est à ce titre flagrante : elle aurait pu être la BO du vespéral 28 jours plus tard de Danny Boyle, tant Bates y insuffle l’ombre pesante d’un drame inéluctable, lui qui a composé les bandes originales de Dawn of the dead, 300, Sucker Punch, Watchmen ou Les Gardiens de la Galaxie…
[blockquote right cite=”The mephistopheles of Los Angeles”]Are we fated, faithful, or fatal?[/blockquote]
The Pale Emperor n’a de pâle que la fadeur des misères idéologiques qu’il moque ; et derrière le Noir et Blanc des visuels de l’album, c’est un Manson haut en couleurs, celles du verbe et de l’insubordination, qui efface les habits de violence “faciles” des premiers pas de la rock star.
Rick Panegy
[blockquote right cite=”Slave only dreams to be king “]Slave never dreams to be free Slave only dreams to be King[/blockquote]