[Festival d’Avignon 2015] Andreas de Jonathan Châtel

[alert variation=”alert-info”]/ EN BREF /Adaptation de Jonathan Châtel de la première partie du “Chemin de Damas” d’August Strindberg, “Andreas” est une pièce qui, par son élégance et son épure, et par son rythme, flottant, laisse au temps et à l’espace la possibilité de se saisir des errances des personnages. “L’inconnu” -rebaptisé Andreas- et la Dame sont en crise d’identité, en quête de sens et en questionnements permanents. Avec une mise en scène raffinée, des décors et des lumières subtilement porteurs de sens, cet Andreas ravit.[/alert]

La lumière est faible. Est-ce l’aube ? Ou le crépuscule ? C’est, en tout état de cause, un moment charnière. Un moment qui donnera lieu à la fin ou au début de quelque chose. A la fin ou au début d’une histoire. Celle d’Andreas, cet “inconnu” du “Chemin de Damas” (Till Damaskus) d’August Strindberg. Cette lumière sur le plateau, faible, c’est l’état d’Andreas. Sa vie va changer. Sa vie doit changer.

[blockquote cite=”La Dame – Andreas (J.Châtel)”][icons icon=”quote-circled” color=”#dd2ec9″ size=”23″]Tu es né esclave et la main de tous était levée sur toi ![/blockquote]

Sur le plateau encore, quelques rares éléments de bois jaune, épars, tels des estrades, des lits, des bancs. Le décors ne changera pas, comme le poids de l’environnement immuable d’Andreas, écrivain déchu, empêché, entravé, mais pourtant désireux de faire bouger sa propre vie… Des éléments altérés, déformés et dénaturés : ils semblent le reflet de l’intérieur d’Andreas, dont l’équilibre vient d’exploser. Quittant femme et enfants, abandonnant son travail d’écrivain -sous les critiques- il fuit un monde qu’il ne maitrise et ne comprend plus, il tente de disparaitre. Disparaitre pour ne plus porter le fardeau de cette chute sociale, pour arrêter le discrédit. Ce passé est une oppression, mais le futur, lui, reste anonyme, pour le moment… Au milieu du plateau, une grande grille métallique, de cour à jardin, sépare la scène de l’arrière scène, qui devient alors autant coulisse qu’espace caché de l’intrigue, un lieu voilé qui symboliserait le passé du personnage, ou l’avenir qu’il ne parvient pas à voir…

C’est par ces quelques éléments, fins, discrets et subtils que Jonathan Châtel parvient à proposer un spectacle aussi épuré qu’il est élégant. Un ensemble dont la forme charme, aidé par un travail sur la traduction et l’adaptation de Châtel lui-même. Il propose en effet une lecture atypique de l’œuvre du dramaturge suédois : en réduisant au maximum les scènes à des duos, en réduisant le casting à quatre comédiens qui interprètent donc plusieurs personnages, en choisissant de nommer “Andreas” plusieurs d’entre eux, il distille subtilement un chaos et imprime un sentiment diffus d’altérité à chaque instant. La quête d’Andreas est-elle celle d’un seul homme ? L’autre, qui portait la scène précédente le visage d’un autre encore, est-il alors négligeable ou au contraire nécessaire ?

Il y a une intimité essentielle à la beauté du spectacle, dans laquelle s’enferme pourtant Andreas comme dans un refuge : la (recon)quête de soi passe-t-elle nécessairement par les autres, ou n’est-elle qu’un long chemin qu’il faut soi-même accomplir ? Le sentiment amoureux éprouvé par Andreas, au cours de sa fuite, ne l’a pourtant pas empêché de chuter encore… Mais il semble être le contrefort inéluctable.

[blockquote cite=”L’Inconnu – Andreas (J.Châtel)”][icons icon=”quote-circled” color=”#dd2ec9″ size=”23″]J’avais la nostalgie de la forêt et de la mer.[/blockquote]

Presque métaphysique, cette adaptation de l’œuvre de Strindberg, alors autobiographique (bien qu’elle raisonne universelle) soulève lentement les questions de la pression sociale, de l’ambition, du désamour ou de la déception, des valeurs , de l’estime et, en réalité, de l’équilibre personnel : une recherche de soi, une reprise de l’essence de sa propre vie.

Portée par des comédiens parfaitement dirigés (excellente Nathalie Richard, surprenant Thierry Raynaud), Andreas est une œuvre qui n’impose pas le spectacle en étendard de la qualité, mais qui porte la sobriété comme clef de toute cohérence. A voir !

Rick Panegy

[icons icon=”info-circled” color=”#dd3333″ size=”16″] Crédits Photos / © Christophe Raynaud de Lage