[Festival d’Avignon 2015] Retour à Berratham d’Angelin Preljocaj

[alert variation=”alert-info”]/ EN BREF / Angelin Preljocaj met en gestes et en mouvements le texte de Laurent MauvignierRetour à Berratham“, après leur précédente collaboration sur “Ce que j’appelle oubli” en 2012. Abolissant les frontières entre les genres théâtre, danse, récit, Préljocaj ne parvient pas à délivrer de spectacle solide. Tout y parait collé, décalé, en déséquilibre. A l’arrivée, “Retour à Berratham” n’est qu’un récit illustré d’une histoire assez convenue sur la guerre, la violence, le passé, les démons… Déception. [/alert]

Dans un contexte quasi post-apocalyptique ou néo-contemporain, dressant le portrait d’une société et d’une civilisation dévoyée par les haines et la violence des conflits, Retour à Berratham tente de mêler la détresse de l’individu à celle de la communauté, et d’associer le théâtre et la danse dans une nouvelle forme (à laquelle se mêlerait le récit littéraire). Perdu dans un embrouillamini bancal et pompeux, Angelin Préljocaj échoue triplement, dans son entreprise réflexive, structurelle et esthétique.

Pourtant, associer les noms -des vedettes si il en est dans leur domaine !- d’Angelin Preljocaj à la chorégraphie, d’Adel Abdessemed à la scénographie et de Laurent Mauvignier au texte promettait une certaine réussite. Qu’importe le CV, le capotage est possible à chaque niveau ! Ce Retour à Berratham en est la triste illustration.

Échec structurel d’abord. Celui qui fiche en l’air l’ensemble du spectacle alors qu’il est visiblement le cœur-même du concept de Preljocaj. Mêlant le théâtre et la danse, le chorégraphe ne fait que juxtaposer les deux arts, de telle sorte que sa danse n’est qu’une illustration du récit. Elle en devient ipso facto plate ou redondante, quand elle n’est pas oubliée en étant cachée par le poids du texte des comédiens. Ou inversement, elle en fait disparaitre le texte tant le spectateur est fixé sur elle. En tout état de cause, quelque chose ne va pas dans cette construction qui laisse peu de place à la danse comme expression de sensations ou de sentiments, mais qui la maintient à un statut d’images narratives explicatives (au mieux). En quelle année sommes-nous ? Si Preljocaj est un artiste dont le langage chorégraphique peut plaire à certains (après tout tous les goûts…), il n’est a posteriori pas un metteur en scène ni un directeur d’acteurs : les danseurs jouent et prennent la parole (ce qui créer surjeu, clichés et stéréotypes : la veste de survêtement-ouverte-sur-pectoraux-bandés et la voix-qui-fait-viril-et-garçon-des-rues par exemple) ; les comédiens se risquent à quelques phrases dansées (pauvre Niels Schneider, un peu pataud, mais qui réussit à suivre les pas de certaines séquences dansés, c’est dire…). L’occupation de l’espace scénique, en outre, n’est pas agréable, ni équilibrée, ni originale : quand le cœur de scène n’est pas classiquement sur-utilisé, c’est une multiplicité d’action qui s’offre au spectateur, dont le regard (ou l’écoute) se perd à cour, à jardin ou ailleurs, ou partout en même temps… En n’offrant ni un spectacle de danse, ni un spectacle de théâtre, ni un spectacle de théâtre-danse  l’image du Tanztheater, ni encore un théâtre qui offrirait des fenêtres à la danse (ou inversement), mais en optant pour une superposition des deux, aucun des arts ne sert l’autre, l’un devenant par mécanisme la simple illustration de l’autre…

Échec réflexif aussi, ou échec littéraire. Le texte de Laurent Mauvignier, avec qui Preljocaj avait déjà travaillé dans le bien plus réussi Ce que j’appelle oubli, raconte une histoire trop souvent  lue ou entendue, construite dans une narration du souvenir ou du flash-back, balançant au final quelques platitudes sur la guerre, le viol, la difficulté de la perte (de ses repères natals, de son amour, de proche, de soi…), les rapports humains de violence exacerbés etc… Des concepts aisés, et rabattus, que les mots de Mauvignier ne parviennent pas, cette fois-ci, à transcender. Que nous dit-on dans ce texte au final très déclamatif ?

Échec esthétique enfin, ou comment faire -malgré soi- d’un nom rien d’autre qu’un argument ? Scénographie d’Abdessemed nous annonçait-on ! Elle est inexistante. Ou alors à cheval entre un plateau à la Starmania mi-élégant mi-kitsch et des airs de faux Mad Max bourgeois… Une étoile en fond de scène, des carcasses de voitures à cour et à jardin, des grilles (mobiles, forcément) et un sol où se reflètent lumières et danseurs -un peu- sans qu’on sache vraiment pour quelle raison…

Retour à Berratham est ennuyeux. Il fait trop. Trop d’ambition, trop d’idée, trop de désir d’aller plus loin ou plus haut… Mêler récit, danse, scénographie, direction d’acteurs, danseurs-comédiens, comédiens-danseurs, n’amène le spectacle de Preljocaj qu’à une sorte de boursouflure un peu pompeuse, et qui ne s’avère même pas jolie ou belle à voir, tant les tableaux dansés sont assez pauvres, courts et parasités. Les plus grands espaces réservés à la danse sont trop rares, souffrant en plus une immense impression de déjà vu chez Preljocaj… On a parlé dans la presse nationale de ratage ou de désastre pour Le Roi Lear d’Olivier Py, c’était exagéré. C’est ce Retour à Berratham qui n’est pas à la hauteur.

Rick Panegy

[icons icon=”info-circled” color=”#dd3333″ size=”16″] Crédits Photos / © Christophe Raynaud de Lage