[Danse – Critique] Umwelt de Maguy Marin

[alert variation=”alert-info”]/ EN BREF / Avec Umwelt, pièce référence de la chorégraphe (2004), Maguy Marin confirmait un virage plus performatif à sa danse : l’étirement de la répétition de courts instants de vie, au milieu d’un vent et d’un grondement apocalyptique, donne lieu à un ensemble fascinant, bien que le concept soit assez difficile d’accès… [/alert]

Le vent s’acharne sur la scène, soufflant et grondant de cour à jardin. Derrière les multiples parois translucides qui composent une scénographie minimaliste mais élégante, une dizaine de danseurs font irruption face public, l’espace de courts instants de quelques secondes, reproduisant la trivialité du quotidien : des gestes banals, des actions anodines. Ils y affrontent ce vent, encombrés d’objets insignifiants (chapeau, livre, plante, nourriture, vêtements, déchets…) et répètent à l’envi les gestes auxquels chacun n’accorde habituellement aucune importance. Seuls, à deux ou trois, ces gestes d’apparence vide de sens, finissent, par le mécanisme de la répétition ad libitum, par résonner comme un message d’alerte et un constat désabusé.

L’Umwelt, qui signifie “environnement propre” en allemand, est un concept complexe où il est question des espèces et de l’interaction de celles-ci avec leur monde propre… Perception et interactions qui varient d’une espèce à l’autre, tandis que, concrètement, l’environnement est le même… Transposé à la question de l’homme, il fait débat. Maguy Marin, ici, semble donc évoquer le rapport que l’homme peut avoir avoir son environnement, son monde propre. Ignorerait-t-il qu’il le partage avec d’autres espèces ?

Umwelt un spectacle performatif, un concept réflexif, qui pose peut-être, sous forme de saynètes cycliques, le constat d’une violence humaine banalisée à l’égard de l’écologie : dupliquée à de multiples reprises, sans algorithme précis, chaque geste rappelle la désinvolture de l’homme (des pommes jetées ici ou là, à peine finies, des débris balancés…). Le front de scène, au départ vierge et lisse de toute irruption de l’homme, se remplit peu à peu de scories du dilettantisme humain. Et devant, à l’orée des gradins, déroule sans espoir d’arrêt, sans possibilité de retour, une longue bobine, de cour à jardin (à l’instar du vent), comme pour évoquer l’issue inévitable que prend notre environnement. Umwelt agit comme le miroir de notre irresponsabilité, ou de notre ignorance du rapport que peu entretenir le reste des espèces vivantes avec le monde que nous partageons : au milieu de gestes anodins et sans importance, certaines actions sont plus graves qu’elles n’y paraissent, multipliées sur scène comme à la vie.

Le spectacle, aussi réflexif soit-il, peine toutefois d’un manque de rythme et de dramaturgie qui tiendrait davantage captif le spectateur. Victime de son propre processus, qui consiste en cette longue série ininterrompue et implacable, à l’image d’un quotidien de l’homme, continu et machinal, Umwelt, dans son écrin de pièce culte et référence, finit par être davantage concept que spectacle, une performance qui aurait gagné à être plus dense, plus percutante, peut-être plus didactique tant elle aborde un concept complexe. Maguy Marin, toutefois, reste maîtresse de cette danse qui, dans la lignée du Tanztheater, mène l’expérience au-delà de l’esthétique, vers une rencontre de l’homme et de ce qui l’entoure, de ce qui fait sa grandeur et sa misère.

Rick Panegy