[Exposition] Yoko Ono au musée d’art contemporain de Lyon

Souvent réduite au statut de « femme de », Yoko Ono était déjà une musicienne, performeuse et plasticienne accomplie avant sa rencontre avec John Lennon. Elle resta active après l’assassinat de celui-ci en 1980. La surmédiatisation de leur relation a fini par éclipser sa propre carrière d’artiste. Tenue encore aujourd’hui par certains pour responsable de la séparation des Beatles, vivement critiquée quoiqu’elle dise ou fasse (ce dont elle même s’amuse, son dernier album s’intitule The Witch -la sorcière-), Yoko Ono trouve depuis plusieurs années la place qu’elle mérite dans l’histoire de l’art. L’exposition au musée d’art contemporain de Lyon s’inscrit dans la continuité de celles organisées au Guggenheim de Bilbao et au MoMA en 2014-2015 visant à faire (re)connaître l’œuvre de celle que John Lennon avait surnommé « l’artiste inconnue la plus célèbre du monde ».

Fac-similé du recueil Grapefruit (1964), vue de l’exposition Yoko Ono au musée d’art contemporain de Lyon

Une centaine d’œuvres couvrant plus de soixante ans de carrière, depuis ses débuts jusqu’aujourd’hui, permet de retracer son parcours hors normes. Figure majeure de l’avant-garde américaine dans les années 1950 et 1960 (installée à New-York, elle côtoie Georges Maciunas, La Monte Young, John Cage… et accueille dans son loft performances et concerts), considérée comme l’inventrice de l’art conceptuel (c’est à dire quand l’idée prime sur l’objet), artiste pionnière de la performance puis plus tard d’internet et des réseaux sociaux, elle contribua à redéfinir le statut de l’artiste et de l’œuvre. L’exposition aborde tous les aspects de son travail : poèmes, œuvres musicales, films, clips, installations, performances, dessins, sculptures… Elle s’ouvre sur les « instructions » soit des consignes (transmises verbalement ou à l’écrit) pour créer une œuvre. 150 d’entre elles furent réunies dans le recueil Grapefruit publié en 1964, les pages sont reproduites au mur du MAC.

« frappez un mur avec votre tête », « écoutez le bruit de la terre qui tourne », « découpez un tableau et laissez le vent disperser les morceaux », « comptez tous les mots du livre plutôt que de les lire » Yoko Ono, Grapefruit

Yoko Ono

Comme de nombreux visiteurs, plantez un clou dans une vraie fausse salle de réunion (Yoko Ono, Painting to Hammer a Nail)

Telle une partition musicale, n’importe qui peut s’en emparer : l’interprétation est laissée libre à chacun de telle sorte que le résultat est imprévisible et qu’il n’en existe en théorie pas deux pareils. À chaque nouvelle exposition de Yoko Ono, de nouvelles copies d’exposition sont créées (elles seront détruites pendant le démontage). Ainsi à Lyon, l’installation Ex It composée de dizaines de cercueils desquels émergent des plants d’arbustes a été réalisée par des artisans locaux et en partenariat avec le parc de la Tête-d’Or voisin tandis que la réalisation d’une Kitchen piece a été confiée à deux chefs cuisiniers de la région…

Pour cette première rétrospective française, les œuvres interactives ont été privilégiées de manière à ce que le visiteur ne soit plus seulement spectateur mais devienne acteur : celui-ci est encouragé à activer ou participer à différentes pièces (certaines en laisseront plus d’un circonspect, à raison). Yoko Ono interroge nos limites et nous invite à transgresser la règle du “ne pas toucher” en vigueur dans les musées. Il est amusant de regarder les visiteurs hésiter, oser puis se prendre totalement au jeu au fil du parcours. Au MAC, on pourra ainsi prendre de la hauteur en montant à une échelle, planter un clou dans une vraie fausse salle de réunion, tester sa mémoire en jouant sur un échiquier entièrement blanc ou repartir avec une pièce d’un puzzle.

(Yoko Ono, Fly)

Yoko, Ono, Fly (1970). « Laissez marcher une mouche sur le corps d’une femme des pieds à la tête et laissez-la s’envoler par la fenêtre. »

L’exposition réunit les pièces les plus emblématiques/célèbres de l’artiste comme Cut Piece (à l’occasion d’une performance en 1964, Yoko Ono, agenouillée au centre d’une scène, invite le public venue la voir à découper et emporter des morceaux de ses vêtements) ou Fly. La permanence des messages véhiculés par l’artiste (la plupart n’ont pas vieilli et trouvent une résonance particulière au regard de l’actualité) et l’émotion qui s’en dégage est frappante. L’engagement de Yoko Ono pour la paix, qui pourrait passer pour extrêmement naïf parfois, se manifeste à travers ses œuvres ; que celles-ci nous confrontent à la violence : objets du quotidien coulés en bronze recouverts de pigments couleur sang, témoignages de femmes des violences dont elles ont été victimes (Arising, 2013), wagon criblé d’impacts de balles sur le parvis du musée (dont Yoko Ono a souhaité faire un “mémorial dédié à toutes les injustices du XXe siècle)… ou au contraire appellent à la paix comme le slogan War is over if you want it (l’action consiste en un bed-in réalisé en 1969 pendant sa lune de miel avec John Lennon couplé à une campagne d’affichage aux quatre coins du globe).

Yoko Ono, Freight Train

Sur le parvis du musée d’art contemporain de Lyon, une “recréation” du Freight Train de Yoko Ono (l’artiste en a fait don au musée)

Disséminées au fil du parcours (sur le billet d’entrée et dans la ville), les injonctions “rêve”, “touche”, “imagine” invitent à se projeter et à devenir acteur plutôt que visiteur passif. Optimiste, engagée -sans jamais donner de leçons-, rompant avec la morosité ambiante, (l’exposition) Yoko Ono encourage symboliquement et concrètement chacun de nous à s’interroger et prendre part aux réflexions de notre société, ce qui fait du bien !

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[icons icon=”info-circled” color=”#1e73be” size=”26″]Au Musée d’art contemporain de Lyon

[icons icon=”info-circled” color=”#1e73be” size=”26″]Du 9 mars au 10 juillet 2016 (prolongée jusqu’au 17 juillet)[/alert]

Pascal Bernard @paricultures / paricultures.com