[Festival d’Avignon 2016 – Critique] 6 AM How to disappear completely du Blitztheatregroup

[alert variation=”alert-info”] /EN BREF/ Adaptant, illustrant un poème d’Hölderlin, le collectif Blitztheatregroup arpente avec 6 AM How to disappear completely les frontières d’un théâtre d’impressions, évolue aux limites d’un art plus poétique que narratif et place le curseur sur l’expérience, au-delà de la consommation. Spectacle évaporé, mouvant, où se mêlent étrangeté, nature, industrie et déraisonnable romantique, 6 AM rend à la sensibilité sa primordiale nécessité au théâtre. [/alert]

Ô mon âme, tu ne peux pas encore te résigner. S’il le faut, renonce à guérir et dors plutôt sans fin“… Un hache à la main, Angeliki Papoula prononce, les yeux clos, un poème d’Hölderlin… Derrière elle, un voile opaque sur lequel une lumière est projetée et mime un soleil fixe perdu dans une brume épaisse. A côté d’elle, une étrange machine, robot mystérieux, qui terminera les derniers vers du poème… C’est un bruit mécanique et sourd qui accompagne l’ouverture du spectacle. La suite, une fois le rideau levé, est une longue mise en situation du poème, une reprise visuelle et métaphorique de l’invitation du poète au voyage, à la transition, à la renaissance. Dans un univers de métal et d’industrie, la mécanique et la déshumanisation semblent avoir pris le pas sur l’homme (l’étrange robot reviendra sur scène plusieurs fois). Les comédiens y évoluent, entre jeu et évasion espérée. Les pierres tombent du ciel et des structures, la lumière rase les éléments et l’homme, dans ce décors aux allures hostiles, est en permanence confronté à des propositions mortelles, définitives. Des cordes, des pendaisons, ponctuent les séquences. Les morts et les renaissances possibles se succèdent, suivies de résurrections soudaine, laissant place tantôt à la reconquête de la Nature, tantôt à l’insoumission de l’Homme.

Il y a dans 6 AM How to disappear completely des allures de quêtes (Les drapeaux en sont peut-être un symbole), celles qui confèrent à l’homme sa misère et sa grandeur : d’un destin instable, il s’oriente vers un équilibre métaphysique ou spirituel, une lumière. La transcendance de l’état d’impermanence passe nécessairement par la découverte.

Sur scène, les comédiens virevoltent, s’échappent, s’efforcent de maîtriser ou d’apprivoiser les éléments mécaniques ou industriels. Les humaniser en quelque sorte. Les plaques de métal importables deviennent des cerfs volants, les échafaudages des repères ou même des sépultures… Sisyphe s’est installé dans le quotidien. Les gestes sont répétitifs, presque vides de sens, à l’image de cette caisse ouverte dans laquelle on ne cesse de chuter. La douleur et le désespoir paraissent peser plus lourd à chaque instant. Pourtant, la fin d’un homme semble ne pas être l’issue : les renaissances font suite aux disparitions, sans autre effet. C’est alors une renaissance (ou une fin) plus symbolique qu’entreprend l’Homme, sur les mots d’Hölderlin. “Et qu’un jour d’or couronne, chaque jour, un autre jour” : la lumière trouvée (un halo provenant du plafond), le mot “enthousiasme” en néon bleu en fond de scène, c’est toute une symbolique poétique romantique que le Blitztheatregroup illustre. L’univers, glacial et hostile, rebelle et déshumanisé, fait en effet penser à l’ambiance de Stalker de Tarkowski, comme le collectif avoue s’en être inspiré. Désincarné, il laisse peu de place au futur et à l’espoir. C’est pourtant, au bout d’une longue quête personnelle (une quête sensible et poétique pour le spectateur) qu’il va rompre les liens de son passé, couper les fils qui le mènent jusqu’à son futur et recréé, plus forte, une réalité nouvelle.

6 AM, How to Disappear Completely invite à l’urgence, celle de répondre à la nécessité de ne pas laisser installer mécaniques et impératifs chronoliques qui dépassent et étouffe l’humanité. Une nécessité de renaitre à son essence, d’appréhender le temps autrement que dans sa linéarité, un besoin immédiat de trouver la lumière, sa lumière, quelle qu’elle soit !

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Rick Panegy

[icons icon=”info-circled” color=”#dd3333″ size=”16″] Crédits Photos / © Christophe Raynaud de Lage