[Festival d’Avignon 2016 – Critique] Lenz de Cornelia Rainer

[alert variation=”alert-info”] /EN BREF/ Avec Lenz, la metteur en scène Cornelia Rainer propose une pièce architecturale, en équilibre permanent entre l’intime et l’harmonie du collectif. Balançant de la quête existentielle à du quasi-thriller métaphysique, elle retrace, avec une scénographie et une mise en scène qui font sens en permanence (parfois trop), le séjour qu’effectua l’écrivain Lenz en 1777 dans la demeure du pasteur Oberlin. En peine de rythme, souvent, et relativement illustratif, Lenz est toutefois une pièce très maitrisée.  [/alert]

La troupe “Theater Montagnes Russes” porte son nom à cause de ce spectacle, qui fut leur premier en 2012. On saisit vite pourquoi, en découvrant l’imposante scénographie d’Aurel Lenfert : un long parcours fait de courbes, de pentes et de toboggans, tout en bois, révélant en un instant la situation de l’intrigue. Nous sommes dans des montagnes, ce sont les Vosges. Rapidement, on situe l’époque : aucun mur, aucune paroi ne fermera les espaces, qu’on devine par la mise en scène et les quelques éléments de décors au milieu de ce paysage “boisé” ; on y aperçoit vite un famille, costumes de gens humbles de la fin du 18ème. Nous sommes précisément en 1777, et l’homme qui va interrompre dans un instant la quiétude de cette famille pieuse est Jacob Lenz, un écrivain poète modeste, qui resta toujours dans l’ombre de Goethe. C’est justement une quiétude qu’il ne sait pas définir que cherche le jeune homme. Des questionnements existentiels qui le tourmentent, et qu’il veut chasser, l’ont conduit ici.

Le cadre rapidement établi, solidement basé, Cornelia Rainer prend le temps de s’attarder sur les personnages, construire leurs relations, définir avec une épaisseur notable leur personnalité, parfois trouble ou ambigüe. Elle distille au compte-goutte les éléments dramatiques qui feront de ce récit une régulière montée vers l’explosion finale, un peu comme un “thriller métaphysique”. A ce titre, son travail d’écriture est d’une rare maitrise, et témoigne des recherches documentaires conséquentes et d’une adaptation des récits trouvés de haute qualité (le livre de Georg Büchner, sur l’exil du poète, qu’elle a habilement mêlé notamment aux témoignages d’Oberlin, l’hôte pasteur).

Peu à peu, subtilement, les conflits métaphysiques et les oppositions existentielles des personnages prennent le dessus sur une intrigue qui finit par devenir quasiment inexistante, en tout état de cause prétexte. Lenz ne cherche pas la quiétude dans la foi, mais la famille, guidée par les codes et les références de la religion, ne trouve qu’en celle-ciles réponses à porter au jeune homme, sans se rendre compte que la chaleur du foyer et la nature alentour suffiraient à Lenz. C’est un conflit psychologique latent, qui finira par exploser, révélant au jeune homme sa quête ultime spirituelle.

Fréquemment, la pièce de Rainer est ponctuée d’éléments signifiants, d’indices et de symboles illustrant le récit ou le contexte. Que ce soit cette montagne russe de bois, illustrant les tumultes psychologiques de Lenz, ces éternelles tentatives de grimper au sommet de celles-ci, comme un Sisyphe empêché, et ces glissades qui font écho à l’absence de maitrise du personnage sur sa vie, tout raisonne en cohérence. Au même titre, les bains froids que prend Lenz révèlent cette volonté de s’absoudre, de purifier ces tourments permanents. Les chants, cycliques et tantôt religieux, tantôt païens, ponctuent les scènes comme pour illustrer dans un quotidien d’apparence anodin le conflit spirituel qu’entretiennent les personnages. La surprenante présence d’un musicien batteur, sur scène, enfin, est probablement la trouvaille la plus appréciable: Julian Sartorius débute le spectacle, tandis que les personnages sont figés, il parcourt le décors en y battant de ces baguettes tous les éléments, faisant naître une incessante musique qui résonne, paraissant inachevable, et entourant la famille du pasteur. Des tobaggans-montagnes aux assiettes ou aux chaises, tout devient musique, jusqu’à se terminer par une séquence de batterie énergique. Puis silence. Au-dessus de lui, au creux du décors de montagne, une cloche d’église : toute cette musique contemporaine illustre spectaculairement le quotidien de la famille Oberlin, rythmé par le religieux. Musique qui semblait rythmer celle de Lenz aussi. En même temps que le parcours psychologique du poète, c’est ainsi, aussi, le portrait d’une société en proie à ses contraintes, hiérarchiques, religieuses, que dessine Rainer. Autant d’éléments signifiants, parfois très appuyés, qui laissent peu de place à autre chose qu’à la lecture strict de l’auteur. Lenz, c’est un théâtre carré, précis, littéral et rigoureux. Bien fait mais peu à même de provoquer chez le spectateur autre chose qu’une passive consommation.

Lenz reste longtemps dans un faux-rythme, laissant filer le temps sans véritable accroche scénaristique ponctuelles, qui pourraient relancer une cadence parfois trop monotone… Si la richesse dramaturgique est indéniable, on peine à apprécier la régularité lente avec laquelle le récit est déroulé, malgré les séquences d’humour ponctuelles, au milieu de ces tourments ambiants… L’ensemble, aussi, manque paradoxalement d’élan, et semble un peu statique, malgré l’impressionnante scénographie tout en courbes et en mouvement. Toutefois, ce sentiment d’écrasement (qui révèle probablement les sensations intérieures de Lenz) permet à la pièce une échappée encore une fois symbolique : c’est une représentation où la verticalité dépasse l’horizontalité. Effacement d’un récit linéaire au profit des questionnements métaphysiques ; recherche de l’élévation, tant visuelle que spirituelle. Impressions mi-figue mi-raison : Lenz est une œuvre d’une grande maitrise factuelle et intellectuelle, indéniablement. De rares reproches pourraient lui être fait sur ces points. Pourtant…

Rick Panegy

[icons icon=”info-circled” color=”#dd3333″ size=”16″] Crédits Photos / © Christophe Raynaud de Lage

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