Chère Angelica,
Ici, pas de critique. Pas de critique de spectacle car ton spectacle n’en est pas un. Toi, tu t’adresses à nous, plutôt, comme un patient à ses multiples psychanalystes, comme un ami à un de ses amis, ou comme on harangue quelqu’un qu’on exècre. Et un psy, un ami ou un ennemi n’écrit pas de critique. Au mieux, il écrit une lettre…
Rassure-toi Angelica, je t’aime bien. Cela devrait t’aller, toi qui cherches tant à ne pas être ignorée. L’indifférence, nous cries-tu au visage dans “Qué haré yo cin esta espada ?” est pire que tout… Être aimée ? Détestée ? Après tout, tu t’en fiches pas mal, l’un ou l’autre, c’est identique : tu nous le redis fermement, si on haït quelqu’un, c’est qu’on l’a aimé… Un truc à peu près aussi basiquement compliqué que cela.
Pourquoi donc t’écrire Angie, alors qu’il suffirait de tourner la page ? Parce que tu m’agaces fichtrement… Voilà que je suis revenu te voir. Encore. “Bêêêê” me moques-tu, comme les autres, singeant le mouton crétin que nous serions tous. Mais qui est le mouton, Angelica ? Toi, tu réussis la gageure d’être le mouton de ta propre ombre, tu te suis d’un spectacle à l’autre. Mais c’est bien compris, d’accord : tu ne souhaites pas rentrer dans ta bergerie. Surtout si elle te rappelle ton enfance, que tu nous décris dans ce qui est sans doute le moment le plus fort de “Que ferais-je, moi, de cette épée ? ” (oui, en français, c’est moins poétique) : les dégénérés de ta zone natale, la laideur, la pourriture des bestioles enterrées vivantes, les cailloux qui te servaient à te torcher, ceux qu’on lançait sur ton frère, les viols des dégénérés, tantôt victimes, tantôt bourreaux, et sur ta propre famille… Tu vomis encore la médiocrité et la violence de ton origine. Alors forcément Dieu… Tu nous poses même LA question, Angie, mais je n’ai pas pu te répondre, il y avait trop de monde autour de moi. Tu nous le demandes, presque implorante : “Comment faire autrement alors, que de se tourner vers Dieu ?” Mais qui t’en fait le reproche ? Tu leur accordes une quelconque importance ? A n’y plus rien comprendre, toi qui crache sur le monde. Ce qui est tout de même bien, c’est que tu sembles t’en être sortie, de cette histoire de Dieu, et que tu sois plus métaphysique que foi désormais… D’ailleurs, je t’applaudis Angie, quand tu exhortes avec un “por favor” tonitruant (toi qui hurles s’il vous plait, c’est rare, j’apprécie) qu’il faut être plus métaphysique que politique… Tu ne veux pas t’excuser non plus, cries-tu cependant dans la troisième partie (oui, tu cries beaucoup, Angie.. si, si…). Mais tu n’as pas besoin de t’excuser, Angelica, parce que tu n’as blessé personne. En tout cas, ceux à qui tu dis que tu ne t’excuseras pas sont déjà partis. Ils t’ont déjà oublié, quasiment.
En somme, ce que je voudrais te dire, c’est assez simple : tu écris très bien, formidablement bien, et tu le dis très bien (et tu n’es pas loin d’avoir raison, je m’en vais te le dire plus loin) et tu fais de belles scénos. Mais les trois ensemble ça cloche. C’est curieux, mais c’est comme ça. Je rêve d’une chose Angie : avoir un enregistrement de toi, qui lis tes textes : sans fioritures autours, sans tes images étirées qui parfois, n’ont l’air que d’exister pour l’esthétique ou la provocation (bien qu’évidemment, tu t’offusques, effarouchée, que jamais Ô grand jamais, tu ne souhaites provoquer pour provoquer… Ah bon…soit). En somme, je trouve même que ça pollue ton propos, pourtant très intéressant. Ça fait scories comme dirait l’autre… Je liste ? Même si, pour la plupart, faut bien l’admettre, il y a quand même -parfois petite- de la cohérence avec ton propos (oui : le japon, la viande crue, le bondage, et tout et tout, ok on a saisi) mais bon : montrer “tu cono” en jetant un regard de post-ado provocatrice, c’est pour ? Le laver en public, faire venir huit jeunes adultes à l’allure adolescente, nues, leur faire mimer transes vingt minutes durant, les faire jouer avec des poulpes, c’est pour ? Se fouetter avec, se oindre avec les sécrétions, se caresser le sexe avec, le croquer etc, c’est pour? La quequette dorée ? Les fesses nippones de ces messieurs ? Leur collecte de serviettes hygiéniques ? C’est pour ? La dégustation de poissons crus, écailles en sus ? La golden shower ? Le camarade nippon au centre d’un cerceau pour conclure la seconde partie, qui répète son geste, pirouette + pompe, jusqu’à l’épuisement, c’est pour ? Et j’en passe : en 4h30 -ça tu es sacrément généreuse, merci… Tu remarqueras que je m’autorise du coup une longue réponse aussi- en 4h30 donc, tu as eu le temps d’en faire d’autres, des petits flashmob de la provoc.
Moi, Angie, je crois que c’est pour faire un peu causer quand même, pour choquer la bourgeoise, tout ça -l’attitude éculée de l’artiste ébréchée- ce que tu mets autour de ta pensée. Personnellement, Angelica, j’en ai vu moi aussi des Bukkake tu sais ; moi aussi j’ai vu du porno ou des images d’horreur (suffit presque d’allumer le JT maintenant tu sais…) sans éprouver dégout, excitation ou répulsion. La photo de la victime du cannibale Issei Sagawa, que tu projettes sur l’écran en fond de scène pendant que tu danses ne me dégoute pas davantage. Tu sais, je l’avais même déjà vue aussi… Le fait que tu aies envie de le faire monter, cet assassin, sur la scène de l’Odéon (Faudra demander son avis à Stéphane quand même…) ça me choque pas non plus, la preuve, je suis bien en train de t’écrire et je viens te voir… Comme quoi… Je pense même que nous ne sommes pas les seuls à ne pas être effarouchés, tu sais… Je te dis cela car tu avais l’air d’en douter quand tu nous le racontais. Et je pense, pour tout te dire, donc, que c’est bien dommage que tu pollues ton propos par ces procédés faciles et jolis : tu veux faire fuir les outragés, c’est ça ?? Ceux qui sont bornés par les règles, les doctrines, les morales que tu dénonces ? Dans ce cas, ok, bien joué. En tout état de cause, si on pouvait juste se pencher sur ce que tu dis -joliment- ce serait bien mieux : une question métaphysique, philosophique même, sur la violence, sexuelle, physique, morale, qu’on s’interdit d’exécuter, de libérer de ce carcan de régulations judéo-chrétiennes et sociétales. Cette réflexion autour du Mal, de son origine, de la violence poétique en lieu et place de la violence réelle. Dont acte, tu as raison. On a tous eu ce sentiment, un jour, on est tous en parfait accord -certains le savent pas- avec cet état que tu décris… Chez toi ça va loin, certes (mais qui sait, c’est peut-être que tu es plus libérée de ces liens moralistes que nous) : vouloir se faire “baiser” le jour de la mort de son père, de sa mère, vouloir être la victime d’un meurtrier, d’un cannibale, parce-que-lui-au-moins-il-te-désire-, vouloir tuer tous les abrutis… Ça se comprend, on est dans le classique Eros et Thanotos, dans la pulsion, c’est freudien. Ok. Du coup, je comprends même la frustration que ça peut engendrer… Tu sais quoi Angelica, je pense qu’on est (presque) tous, un peu comme toi. Peut-être même que la violence poétique que tu exprimes dans ce “spectacle” est un peu la nôtre, par procuration. Tu es notre procureur, Angie.
Ceci dit, j’ai envie de t’exhorter quand même à y aller à fond ! Parce qu’en art, on peut presque tout faire. J’aurais été toi, je l’aurais prise cette épée que tu brandis dans ton titre ! J’aurais fait venir des moutons morts (c’est quand même moins gnognotte que des poulpes, non ?) et je me serais acharné avec l’épée sur leur cou. Il aurait fallu aussi se baigner dans leur sang, entrer en eux (même Leonardo DiCaprio l’a fait ! Dans un cheval, oui, je sais). Tu aurais même pu prendre le sexe du mouton et le lécher. Ça aurait été bien aussi une bouteille de sperme, bue en direct, plutôt que de nous dire que tu en avais bu des litres le soir des attentats… non ?
D’ailleurs, mis à part le fait que tu cites Cioran and co -Hölderlin, Nietzsche…- (une chose est sûre, c’est que tu es rudement cultivée), ta sortie sur le peuple français est un point de vue, tu peux… Mais, sérieusement, te placer en responsable des attentats du 13 novembre, parce que tu es une “sorcière” maudite, et que si tu avais été morte, ils n’auraient pas eu lieu, c’est un peu insultant pour la mémoire des victimes et de leur famille… (oui, c’est encore une barrière morale de MIERDA, pardon)
Bref, Angie, on peut aller loin comme ça. Mais ce qu’il faut que tu saches, c’est que je pourrais t’écouter des heures. Si j’avais ton talent, je pense que je l’aurais écrit et dit sur scène aussi (faut voir… je dis ça mais je ne m’engage pas, hein). En tout cas, je suis bien content que tu l’écrives ainsi, et tu le hurles au monde. Mais fais-le sans tes dernières images à la Jan Fabre, il devait être content au premier rang mercredi soir, tu lui as rendu un bel hommage… Où alors fais-le à fond, vraiment, ne fais pas faire ça à des jeunots sans aller jusqu’au bout : demande conseil à Marina Abramovic, qui était elle aussi juste au premier rang, à côté Jan. Tu es une auteur, Angie, une sacrée auteur. Tu performes bien, mais seulement ce que tu écris, le reste c’est de la performance digne des étudiants du MAI. Tu ne me choques pas, mais tu as réussi une chose terrible, et ça je t’en veux beaucoup, je ne vais plus pouvoir écouter le concerto 23 pour piano de Mozart sans penser à toi !
Angie, tu es quand même trop forte : tu réussis à reléguer Sophie Calle au rang de petite cadette de la promo ‘”je fais de l’art sur moi en parlant de moi pour moi”. Et ce qui est terrible, c’est qu’il y a un propos universel derrière les froufrous provocs. Je t’aime bien Angie, parce que j’ai toujours eu de l’affection pour le pathétique, et il semblerait, si je te suis bien, que ce monde le soit vraiment. Je fais partie du monde, tu fais partie du monde.
Rick Panegy
[icons icon=”info-circled” color=”#dd3333″ size=”16″] Crédits Photos / © Christophe Raynaud de Lage