[alert variation=”alert-info”] Autour de multiples variations et d’innombrables segments issus des danses folkloriques ou traditionnelles, Christian Rizzo explore, aidé par la grâce de ses danseurs Julie Guibert et Kerem Gelebek , la danse de couple et ose une définition multiple et poétique du duo dansé. [/alert]
L’ambiance est nocturne, baignée d’une sérénité quasi-schizophrène qui s’apprête à devenir électrique : la musique de Pénélope Michel et Nicolas Devos rythme au grès de basses et de beats tantôt effrénés tantôt mystiques les pas des danseurs en symbiose. Au sol, un tapis labyrinthique de Noir et de Blanc semble répondre aux parcours multiples que vont enchainer, pendant presque une heure, les danseurs. Ici, une gigue avortée, là un tango dessiné, ou une valse suggérée, un paso-doble suspendu ou une polka. On s’imagine un foxtrot ou une amorce de claquettes, on croit voir l’esquisse d’un rock. Comme souvent, Christian Rizzo puise dans les danses codifiées, celles modernes ou traditionnelles, pour recomposer un langage scénique et corporel entre racines et spontanéité. A chaque instant, le couple entame un pas de deux, une danse duo, sans jamais les terminer entièrement : ils sont interrompus par des noirs soudains successifs qui racontent, tels des chapitres, l’histoire de l’homme dansé, en même temps qu’ils dessinent sa nature diverse et peut-être même son essence éternelle. Des chapitres faits de danses qui se recomposent et en reconstruisent une autre : la danse, ainsi, n’aura jamais fini de se réinventer. Le couple réapparait ailleurs sur le plateau, lorsque la lumière se rallume à chaque fois, comme pour renaitre dans un nouveau schéma dansé : l’histoire de la danse est comme celle de l’homme, faite de multiples différences et de multiples similitudes.
Au fond, à jardin, un étrange parallélépipède, vertical, semble vibrer de sons étouffés ou de larsens ; il irise le plateau -et les danses mutines et complices des danseurs- d’éclairages changeants, tantôt faits de nuances, tantôt agressifs, tantôt délicats, francs ou subtils. Il s’éclaire en lui-même comme il fait naître des ombres et des profondeurs mouvantes sur le sol. Comme un totem à la gloire de l’humanité qui danse, célébrant le métissage des langages chorégraphiques et la diversité des inspirations humaines, il trône et pèse à l’instar d’une entité supérieure quasi divine, presque métaphysique.
Lorsque réapparaissent les deux danseurs pour un final suspendu, ralenti au rythme des espérances mélancoliques de la musique d’Arvo Part, c’est un dernier ballet avec les fantômes de la danse qui est offert. Un dernier sourire voilé de grâce et délicatesse de clowns blancs qui s’effacent dans le brouillard comme deux ombres éternelles, le mouvement à la place du regard, le corps à la place des mots.
Rick Panegy