[alert variation=”alert-info”] Sans pathos exagéré, sans lourdeur lacrymale, Ma vie de courgette émeut par la modestie du traitement de la douleur de ses héros, et l’humilité avec laquelle il traite ces destins subtilement dessinés. Une réussite de résilience et de réalisme. [/alert]
La chambre est grise, isolée. Peu de jeu, peu de joie. Le regard est déjà un peu vide, ou embué de nostalgie ou d’espoirs… Icare est dans sa chambre, il termine son cerf-volant : c’est son père, une cape au dos, qu’il y a dessiné. Il le fera voler, avec au verso, une poule. Une de ses “poules” que ne digère pas la mère d’Icare, qui fulmine devant sa télé en buvant des bières, et en hurlant “menteur” aux hommes des séries TV qu’elle semble engloutir. On devine le quotidien peu joyeux d’Icare, surnommé “Courgette”… Jusqu’au drame. Quand sa mère meurt accidentellement, c’est une nouvelle vie à l’orphelinat qui débute.
Ma vie de courgette aborde, sans misérabilisme, sans pathos engourdi, l’enfance tronquée et déchirée vécue par ces enfants aux familles dévoyées : à l’orphelinat, les camarades de Courgette sont tous très écrits, presque caricaturaux ; ils dessinent l’éventail des drames vécus par les enfants éloignés de leur famille nucléaire. Des parents drogués, violents, abusifs, délinquants… Chaque histoire personnelle est un stéréotype, mais le naturel et l’humilité avec lesquels Claude Barras et Céline Sciamma ont écrit et filmé ces destins noircis par l’horreur soulèvent de légèreté ces profils catalogues : ce qui compte au-delà du drame, c’est la possible résilience. Et comment elle s’installe chez ces bouts d’hommes d’à peine dix ans avec un naturel bluffant.
Davantage que le système (un peu tronqué), que Sciamma et Barras survolent en laissant peu de place au commissaire, à la directrice de l’orphelinat, au juge ou aux éducateurs, ou davantage que les traumas eux-même, c’est aux corps et aux regards, aux individus que le film d’animation, multi-récompensé, fait la part belle. Une loupe placée au-dessus des sensations et des sentiments. Courgette et ses compères n’échappent pas aux angoisses, aux déceptions, aux colères ou aux inévitables espoirs déçus. Ils se heurtent à la peine, à la culpabilité, à la jalousie. Rien qui ne soit palpable, ni qui ne soit susceptible d’être jugé par la raison. Barras les montre avec naïve nuance de réalisme. En cela, Ma vie de Courgette, adapté du roman de Gilles Paris “Autobiographie d’une courgette” replace la quête et la reconquête de soi au cœur de son propos. Force est de constater que Claude Barras, en réduisant au maximum les personnages du roman de Gilles Paris, réussit à insuffler à l’aventure une intimité feutrée, à laquelle la technique du Stop-motion des films d’animation en volume ajoute un réalisme poétique (dans la lignée du Vincent de Tim Burton plus que dans celle de Wallace Et Gromit de Nick Park).
Trente secondes du film filmée par jour, il fallait toute le patience du monde à Gilles Barras pour mettre au jour son premier long métrage. On la retrouve dans le film, qui prend à chaque instant le temps de suspendre les instants, de se figer sur les regards. Lourdeur technique oblige ou choix précis du réalisateur, l’absence et/ou la réduction des décors à leur plus raisonnable expression permet ce resserrement autour de l’individu, autour de ces enfants, dont l’isolement est alors reflété à travers ces vides dépeuplés. La couleur, quasi-absente au début du film, s’installe peu à peu jusqu’à l’éclatement : il ne fait jamais nuit pour toujours…
Si l’écriture de Céline Sciamma (réalisatrice de Tomboy, Naissance des pieuvres, scénariste de Quand on a 17 ans) est toujours empreinte d’une certaine brutalité, une volonté de ne pas contourner les douleurs et les violences, elle laisse toujours de la place à la compassion et à la volonté de contourner le jugement par l’empathie. Ma vie de Courgette n’échappe pas à ce fonctionnement sensible, qui manque certes parfois d’émotion, sur la longueur. Mais au final, c’est une frustration lacrymale heureuse car balayée par la force de vie qui réside toujours et encore dans ces enfants, comme si en filigrane, il était hurlé silencieusement à chacun que la résilience est naturelle.
Les yeux des marionnettes élaborées par Gregory Beaussart sont assiégés de cernes bleutés, mais ils sont immenses : une promesse des beautés qu’il reste à voir, même lorsque la vie a mal commencé.
Rick Panegy