[Cinéma – Critique] The Fits de Anna Rose Holmer

[alert variation=”alert-info”] Anne-Rose Holmer filme l’entrée dans l’adolescence, la découverte du corps, la nécessité du groupe, la féminité. Un film sensoriel et métaphorique. Avec une comédienne lumineuse.[/alert]

Peu bavard, The Fist se positionne davantage sur la sensation que sur l’intellect. Anne-Rose Holmer assume, pour son premier film, un cinéma fait d’images surexposées, de gros plans, de ralentis ; un cinéma où le son est travaillé à l’envie, plus que les dialogues ; un cinéma où les jeux de focales se multiplient. L’histoire de cette enfant à l’orée de son adolescence, comme ses camarades, où les corps bouillonnent de s’exprimer et les envies d’ensemble convergent, se lit comme une parabole presque poétique.

Habituée des documentaires sur la danse, Anna-Rose Holmer n’était pas totalement novice… Et tout son savoir faire technique se lit sans peine : l’histoire de Toni, gamine pré-ado qui pratique la boxe dans un club avec son frère et les garçons du quartier, et qui va peu à peu s’ouvrir à la danse et à son corps, attirée par le groupe de fille d’en face qui danse du Drill, est filmée quasiment comme une aventure surnaturelle, presque métaphorique, loin d’une narration linéaire et documentaire. En utilisant ainsi tous les artifices techniques, en s’éloignant d’un récit trop chapitré, Anna-Rose Holmer évite au film au sujet déjà maintes fois traité d’être trop didactique. Royalty Hightower, pour son premier rôle, est lumineuse : elle incarne une Toni sensible, balancée entre ses peurs, ses angoisses, ses attirances et ses désirs de découvrir -son corps, ses plaisirs, ses pairs. Le film suit, à chaque scène, le parcours transitionnel de l’enfant vers l’adolescence : s’attardant sur ses regards, filmant les arrières plans, multipliant les symboles, Anna-Rose Holmer montre la nécessité incontournable de se conformer au groupe, l’irrépressible besoin d’écouter son corps. En permanence, Toni se retrouve derrière des barrières métaphoriques -ici un grillage qui la sépare des autres, là une vitre qui la coupe d’un autre monde-, et son isolement permanent -quasiment aucun lien avec le contexte social n’est montré- accentue l’aventure personnelle et individuelle du passage à l’adolescence. Un basculement individuel guidé toutefois par la nécessité du groupe et de l’identification à la meute, cette spécificité adolescente. C’est tout ce sensible glissement entre l’enfance et l’adolescence que montre subtilement Anna-Rose Holmer, s’appuyant notamment sur un nœud narratif artificiel : une “épidémie” de crise d’épilepsie chez les filles de ce club de sport. Ne s’attardant ni sur les causes ni sur la manière dont ces convulsions répétées (d’où le titre, the fits) sont soignées ou prises en charge, ou même vécues (réelles ou fantasmées), la réalisatrice utilise cette succession de crises d’épilepsie comme des rituels, des épreuves transitionnelles, des instants qui fascinent ou effraient, attirent ou tourmentent les jeunes filles. Un sacre symbolique et métaphorique. La danse, en fil rouge de cette aventure humaine, replace le corps dans toute sa nécessité d’expression. En glissant de la boxe à la danse, Toni s’ouvre, trouve d’autres manières de s’exprimer, malgré ses approximations, ses maladresses : c’est aussi toute sa féminité qu’elle va peu à peu découvrir, des paillettes de l’affiche du club de danse aux boucles d’oreilles qu’elle décide d’adopter jusqu’au costume tout en strass qu’elle finit par porter.

The Fist est de ces films rares qui sont tout à la fois humbles et sensibles, pour lesquels la simplicité d’apparence sert une multiplicité et une complexité des thèmes abordés. Résolument bienveillant, The Fist mérite son prix de la critique au dernier Festival de Deauville.

Rick Panegy