[alert variation=”alert-info”]Le témoignage de Marie, imaginé par Colm Toibin, mis en scène par Deborah Warner : une déstructuration de la mythification des origines du Christianisme, campée par une excellente Dominique Blanc. Le divin bascule en douleur triviale.[/alert]
Le décors est pompeux ; dorures et décorum habituel de la mise en scène chrétienne. Dominique Blanc épouse l’image traditionnelle de la Sainte Marie, assise dans un caisson de verre ; autour des bougies et autres repères religieux habitent le plateau, sur lequel le public est invité à venir déambuler, avant le début de la représentation : l’allégorie du pèlerinage investit les lieux.
Rapidement pourtant, tout disparaît. Marie revient sur scène débarrassée des oripeaux qui font d’elle l’image sainte du christianisme, le plateau est désormais nu. Quelques chaises ou tables y demeure seulement. C’est ainsi que Deborah Warner épouse le propos de Colm Toibin : débarrasser Marie du mythe qui l’entoure, ramener sa parole et son histoire à l’exposé de la souffrance triviale. Celle qui habite une mère face à la mort de son fils.
De Nazareth à Cana, de Lazare à Marie-Madeleine, Marie revient sur le parcours de celui qui devient prophète, balayant les Évangiles, déconstruisant par la force du témoignage les miracles et l’élaboration du mythe autour de son fils. En somme, Marie témoigne, elle livre un testament, un anti-évangile apocryphe, et Colm Toibin fait état alors d’une démarche non pas exclusivement anti-cléricale (bien qu’il se moque par instant de ce qu’il considère comme d’improbables histoires farfelues) mais totalement humaniste, une démarche qui transcende les désirs d’évangélisation, le spirituel et le mystique, qui dépasse le métaphysique et qui va au-delà du story-telling religieux : il ne s’agit ici, que d’une mère qui voit son fils s’éloigner, se perdre, s’enfermer, mourir comme tant d’autres et être récupéré par un groupe pour servir leur cause. C’est l’histoire d’une mère dépossédée de son fils.
Deborah Warner a choisi de jouer la carte de l’opposition : le faste du religieux, en préambule, est balayé par le sommaire du trivial de la suite de la mise en scène. Des objets du quotidien, des décors rudimentaires sont les seuls éléments scéniques. De sorte que seule la parole de Marie déborde de ce trop peu scénographique. Il en résulte un équilibre un peu fragile parfois entre la force qu’a voulu imprégner Warner à la simplicité des mots d’une mère et le primitif de sa mise en scène : comme si elle n’avait pas osé épurer totalement le plateau pour n’en faire qu’un espace nu, totalement offert au poids des mots et de l’interprétation (comme avait pu le faire Patrice Chéreau et Thieu Niang dans La Douleur avec déjà la même Dominique Blanc). La comédienne, toujours excellente dans l’interprétation de rôles de femme blessée, s’en trouve parfois un peu contenue par la volonté de la metteuse en scène de l’inscrire dans un contexte volontairement exagérément terrestre.
Toutefois, le long monologue de Colm Toibin, en balayant les évangiles, les mises en scènes des apôtres, par l’absence d’admiration d’une mère -et au-delà de la remise en cause de l’histoire biblique- parvient à remettre au centre de l’histoire le chagrin d’une mère, et à redonner, de manière fictionnelle, la parole à une femme-mère que la religion a rendu muette : Le Testament de Marie est une réhumanisation d’un symbole ôté de chair, une réincarnation vivante d’une femme “iconisée”, une revendication au droit à la peine, au chagrin, à la simplicité des sentiments, au droit d’être humain avant d’être saint.
Rick Panegy
[icons icon=”right-fat” color=”#8224e3″ size=”13″] Au Théâtre de l’Odéon / Théâtre de l’Europe du 5 mai au 3 juin 2017.
[icons icon=”right-fat” color=”#8224e3″ size=”13″] Création / Coproduction Comédie Française / Odéon-Théâtre de l’Europe