[Danse – Critique] Standing in Time / Lemi Ponifasio

[alert variation=”alert-info”] EN BREF : Trois ans  après IAM, présenté dans la Cour d’Honneur, Lemi Ponifasio retrouve le Festival d’Avignon : son Standing in time est un instant suspendu, dilaté, quasi-mystique autour des relations au monde, aux femmes, aux générations et à l’harmonie nécessaire du monde. [/alert]

Il y a dans l’impossible cette beauté qui consiste à réunir chacun dans une connivence ultime : celle de l’empathie, et du partage de l’émotion pour accéder au sens. Car chez Ponifasio, le surtitrage et la linéarité du récit sont bannies : impossible de comprendre, par une porte d’entrée classique et paresseuse, ou intellectuelle, au sens. L’émotion, et surtout le degré infime qui sépare la réflexion de la spiritualité sont en réalité les seules portes d’accès.

Dans Standing in time, l’univers visuel de l’artiste Neo-Zélandais reste fidèle à ses propositions antérieures : radicalité et austérité habitent la pièce et l’habillent d’un écrin de mysticisme. Rythmée par un travail du son continu et grave, faisant appel à des résonances d'”outre-monde”, et imprégnée d’un minimalisme visuel (banc, pierres, quelques lumières vives sur un plateau plongé dans l’obscurité), la pièce se déroule lentement, enchaînant  des tableaux aussi déroutants que perturbants, émouvants ou saisissants.

Standing_in-time

Lemi Ponifasio a voulu mettre en lumière les femmes, celles de la communauté MAU, Maories ou Mapuche, et à travers elles toutes celles du monde. Il revient, en épisodes symboliques, sur les rapports générationnels, sur la tradition, sur leur rapport à l’érosion de leur existence communautaire, sur leur dignité face aux colons, sur la disparition d’un monde. Il fait place à la souffrance et à la sépulture, qu’elles soient celles des corps meurtris par les viols, les maladies, la pauvreté, le rejet que celles de toute une culture, mise à mal par le déséquilibre engendrée par la colonisation occidentale ; à l’image de cette cérémonie ultime baignée dans une solennité absolue. Les pierres, qui jonchent le sol, sont les vestiges d’un monde qui s’évanouit. Celles que ces femmes lèvent et brisent au sol ressemblent à une imploration et à une colère viscérale, à l’image de ces chorégraphies maori qu’elles entament, face public, regard fixe et défiant, comme pour signifier au monde occidental que le public représente qu’elles ne se laisseront pas disparaître. Une fierté habitent ces femmes, jusque dans la nudité, même sanglante, qui fait résonner leurs douleurs.

L’équilibre, l’harmonie, la perfection rythmique et chorégraphique, la perfection esthétique aussi -faites de valeurs de Noir et Blanc et de lignes pures- fait de ce Standing in Time un moment suspendu quelque part entre Histoire et cosmogonie, quand le spectateur doit faire fi de sa langue, de son esprit pour laisser vibrer l’empathie et le cœur. Et lorsqu’il doit entrer en communion, dans un monde mouvant et glissant, avec la souffrance et la force qui fait vibrer l’Ailleurs.

Rick Panegy 

[icons icon=”info-circled” color=”#dd3333″ size=”16″] Crédits Photos / ©  Christophe Raynaud de Lage