[Danse – Critique] La Fiesta / Israel Galvan

[alert variation=”alert-info”] EN BREF : Avec un Flamenco qu’il réinvente sans cesse, Israel Galvan fait entrer l’intime de sa culture sur scène, et expose cette fête populaire de la communauté gitane et flamenca, qui dépasse le cadre des représentations folkloriques montrées sur les scènes touristiques. Une plongée au coeur de la culture andalouse et personnelle. [/alert]

Ceux qui, ne connaissant pas Galvan, et ayant lu quelque part dans le programme le mot « Flamenco », s’attendent à retrouver dans La Fiesta le même folklore que dans les échoppes ou bars d’Andalousie, seront déboussolés… Peut-être même hueront-ils, comme les quelques spectateurs lors de la première du spectacle au Festival d’Avignon dans la Cour d’Honneur. Car en effet, Israel Galvan n’est pas un entertainer local, c’est un artiste, reconnu mondialement, qui déconstruit régulièrement son art, le Flamenco, pour le reconstruire et le refonder sur d’autres bases.

Le Flamenco, art hyper-codifié, est la base-même du travail de Galvan, lui qui est le fils de deux grands danseurs et qui a grandi dans la culture flamenca. Il commença sa carrière comme danseur mais devint rapidement chorégraphe, pour pouvoir justement s’affranchir des invariants de cet art communautaire et en faire sa propre écriture. La Fiesta est, une fois encore, une approche différente, un nouveau biais pris par le danseur espagnol…

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Ainsi, ignorant volontairement les codes et les rituels flamencos, dans l’art de la représentation –car qui demanderait à Israel Galvan de prouver qu’il sait danser le Flamenco tel qu’on le connait- le chorégraphe invité dans la cour d’honneur propose une vision plus large de cet art qui déborde de la scène. Le Flamenco, comme art de vivre, englobe l’avant et l’après représentation, avec ses joies, ses drames, sa communauté… C’est en se nourrissant de ces instants « hors de la scène » que Galvan a écrit son spectacle, pour mettre ne lumière et en drame  l’intimité des hors-champs, le collectif hors-scène.

Il y aurait tant à préciser et à analyser dans ce spectacle aux références multiples, que les afficionados de flamencos reconnaîtront… On pourrait évoquer en détails les multiples références, comment Galvan décale volontairement les Siguiriya ou autres Soleares. Il faudrait décoder les Cante jondos et apprécier l’ironie d’un Campero moqué. Car sur scène, autour de Galvan, les chanteurs ou danseurs sont en décalage permanent avec  les fondamentaux stricts du Flamenco que Galvan fait éclater./. Mais, bien qu’étant tout à fait savantes et précises, ces références culturelles échappent probablement à la majeure partie des spectateurs, lesquels restent alors, et ce n’est pas un mal, confrontés à la représentation de ce qu’ils comprennent tout de même comme une loupe sur l’autour du folkore. Ces instants où les artistes chantent, pleurent, boivent et s’amusent, ces moments où la « famille » se confronte à la perte, à la séduction, au désir…

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En effet, sur scène, Galvan, accompagné d’autres danseurs, de chanteurs, électrise dans une énergie ininterrompue tout le plateau (y compris les gradins, d’où il descend sur les fesses) : il danse allongé, assis, pantalon au pieds des jambes… Avec ses acolytes, ils dansent sur une table, font trembler le mobilier, renversent les tables pour en faire des instruments à percussion. En somme, quelque soit la situation décrite, quelque soit l’objet, tout devient flamenco, tout en est habité. C’est une manière, aussi, d’affirmer l’appartenance et l’ancrage de cette danse dans toute une culture, même lorsqu’elle est confrontée à l’hybridation par son auteur.

Sur le plateau, hormis les quelques chaises, les tables et les danseurs/chanteurs, rien. L’immense scène est vide. Les lumières, elles-mêmes, habillent si peu la cour d’honneur. Un pied de nez face à la majesté du lieu, et face à tout le potentiel qu’il dégage, à l’enjeu qu’il inspire et à l’attente qu’il suscite. Un pied de nez car Galvan, ayant déjà créé ce spectacle avant le Festival d’Avignon, ne l’a pas réadapté pour la Cour d’honneur, faisant fi du décalage que cela allait produire entre l’immensité du lieu et le rudimentaire de sa scénographie. En privilégiant le don performatif, et l’immersion par le son (des voix, des cris, des taconeos amplifiés qui résonnent dans la cour), il met au cœur de sa performance l’intimité, en ignorant la dimension a-personnelle de l’espace immense.

C’est ainsi que le chorégraphe transforme la cour en lieu presque privé, un lieu  où le public n’est plus dans des gradins mais invité au cœur de l’espace même de cette Fiesta acharnée et enfiévrée d’après spectacle, où l’on se moque de soi, où l’on ironise sur ses propres rituels. Nous voici tous Gachos…

Rick Panegy 

[icons icon=”info-circled” color=”#dd3333″ size=”16″] Crédits Photos / ©  Christophe Raynaud de Lage