[Spectacle – Critique] The Great Tamer / Dimitris Papaioannou

[alert variation=”alert-info”] EN BREF : Le metteur en scène de la cérémonie d’ouverture des JO d’Athènes de 2004 propose, avec The Great Tamer, une épopée plastique et picturale truffée de références artistiques aux allures mythologiques. Un instant suspendu d’esthétique efficace mais très calibré sur l’Homme en perpétuelle recherche. [/alert]

The Great Tamer, véritable épopée graphique hyper stylisée, fresque dessinée à la grâce de l’illusion et des effets quasi circassiens, embarque le spectateur dans un voyage au cœur de l’humain ; une certaine ode à la grandeur de l’homme derrière sa mesquinerie, destructrice ou aveugle. Le mysticisme, qui frôle ici la représentation mythologique, guide chaque étape de cette évolution bancale de l’homme que l’artiste grec met en scène dans un spectacle muet à la scénographie impressionnante.

Sur un plateau penché bricolé de planches souples se superposant évoluent onze performeurs, sublimés par l’esthétique du plasticien. Ils s’y meuvent comme des acrobates, des clowns ou des danseurs, mimant des scènes comme des tableaux, s’inventant ici combattants, chercheurs, ici encore solidaires ou joueurs, là victimes, ou là encore allégories… Sous nos yeux, ils reconstituent cette quête de l’homme de la stabilité, de la force, de l’union, de l’équilibre, de l’idéal, de l’élévation, du progrès. Ils s’incarnent en éléments fragmentés qu’une force nécessaire rassemble. Ils y font vivre la soif de découverte et font mourir leurs propres rêves. Ils s’inspirent une quête, probablement vaine, qu’ils recherchent en l’autre ou en terre, symbole d’un lieu de fertilité créative et de richesses inépuisables. Papaioannou cite Sisyphe, pour qualifier cette éternelle quête dont l’Homme, depuis tous temps, s’empare, pour mieux “détruire et assombrir” ce qu’il trouve… Cycle de création et destruction infernal, que l’artiste parvient avec un talent et un savoir-faire remarquable à retranscrire sur scène, agissant en grand horloger de la destinée humaine.

Il y a du mythologique dans ces chapitres allégoriques, où l’on devine -comme des cailloux qui témoignent de l’ambiguïté création/destruction de l’Homme,- des reproductions franches d’œuvres d’art, qui elles-mêmes en leur temps, avaient souligné cette précarité morale de l’humanité. De La leçon d’anatomie du docteur Tulp de Rembrandt aux vanités de Renard de Saint-André ou de Linard (entre autres), ou des références mythologiques de la Venus de Botticelli  et des statues grecques mutilées à l’évidente Trinité de El Greco, de Le Modèle Rouge de Magritte qu’on aurait croisé avec La Folie Almayer à Kubrick ou à Strauss, ou encore d’un champs de flèches digne de la bataille des Thermopyles qui se transformerait en champs de blé où évolue Déméter -à moins que Millet ne soit pas loin- aux propres œuvres de Papaioannou lui-même, The Great Tamer est un puzzle où l’art stigmatise autant l’espèce humaine elle-même que son aptitude à s’unir et à se désunir.

The great tamer, ou « le grand dompteur » en Français, est un parcours allégorique et fabuleux, fait d’imprégnation et de beauté, de sublimation et de noirceur ironique : un moment presque magique, captivant, efficace tant il nous tient suspendu aux moindres effets. L’homme dompte sa propre nature, mais finit par s’empêcher lui-même, sombrant aux cœurs de sa vacuité, laissant fuir le temps avant d’être parvenu à maîtriser l’équilibre et l’harmonie qui lui semblent pourtant nécessaires. Un spectacle beau, caressant l’idéal avec la mélancolie du Memento Mori, mais un peu froid, distant, aussi beau qu’un livre d’art en papier glacé, auquel il manquerait la force d’une œuvre grandeur nature pour toucher au cœur et aux tripes…

Rick Panegy 

[icons icon=”info-circled” color=”#dd3333″ size=”16″] Crédits Photos / ©  Julian Mommert