En 2005, la chorégraphe mettait en scène To Come, petite forme pour cinq danseurs segmentant l’acte sexuel, l’injonction à la jouissance, la sexualité en groupe, en expression binaire : les corps se mélangeaient en silence, puis immobiles, exprimaient la jouissance.
Plus de 10 ans après, Mette Ingvartsen recrée To Come dans une version retravaillée, étendue, rajoutant des danses, augmentant le nombre de danseurs et la durée des séquences. Dans ce spectacle en forme de triptyque, la chorégraphe danoise explore la sexualité de groupe et le rapport au sexe avec une certaine distance : sans être prescriptive, elle observe une certaine déconnexion contemporaine des corps et des plaisirs de l’esprit, la banalisation des pratiques sexuelles, montrant la multiplicité des formes (positions sexuelles démultipliées et enchaînées, sexualité en groupe, et recherche de la performance). Les constats de Mette Ingvartsen sont assez classiques, au regard des observations sociologiques sur la sexualité telle qu’elle s’exprime aujourd’hui, après l’explosion des réseaux sociaux, des applications de rencontres, de l’accès simplifié à la pornographie et de son influence sur les pratiques. En ce sens, son To come de 2005 n’était plus que le témoin d’une époque déjà révolue : sa version retravaillée, extended, se devait donc d’aborder un regard nouveau sur ce rapport différent et contemporain à la sexualité. Le spectacle est, en ce sens, un peu réducteur, et aurait pu aborder davantage, explorer plus encore. Mais il offre toutefois une plus grande maîtrise de la chorégraphe, diplômée de PARTS, qui montre ainsi l’étendu de ses progrès : son To come (Extended) provoque une plaisir chorégraphique évident, une jubilation esthétique et visuelle.
Concrètement, Mette Ingvartsen décortique l’acte sexuel de groupe : elle montre dans un premier temps les corps, déshumanisés, désincarnés, revêtus d’une combinaison turquoise qui masque totalement l’humain pour n’en livrer que son enveloppe physique. Ce sont des corps qui se mélangent, se figent en sculpture, se meuvent lentement pour définir pendant 30 minutes un musée du kama sutra de la “partouze” : l’ensemble multiplie les points de regards, se détache, se rattache, mime l’acte sexuel, immobile, ou construisant une figure unique glissant sur le sol. Rien n’exprime la sensualité, le partage, l’échange, tout y révèle la mécanique, la pure technique de l’acte, comme pour évoquer l’injonction de la performance dictée par les canons pornographiques modernes. En contrepoint, la chorégraphe enchaîne une seconde partie, plus ironique, déshabillant ses danseurs, montrant enfin leurs corps. Ils se figent, pourtant : un quart d’heure d’onomatopées singeant le plaisir sexuel. L’expression de la jouissance séparée de l’acte physique appelle à la réflexion sur, encore, une possible “insincérité” des actes, comme guidés par un “dictionnaire” collectif des expressions orales de la jouissance… Terminant sur une longue danse collective swing où les danseurs, totalement dénudés, font transpirer les peaux et agitent sexes, fesses et poitrines sur le sing sing sing de Louis Prima version Benny Goodman, ce To come (extended) 2017 ajoute à l’oeuvre de jeunesse de la chorégraphe l’aspect performatif de la sexualité, étirant l’acte physique jusqu’à l’épuisement, lui imposant la nécessité de la prouesse, à l’image des codes de l’industrie pornographique. Dans cette dernière partie, le plaisir, la réaction des corps, l’exhalation qui manquaient aux premières parties cliniques, redonne l’humanité qui faisaient défaut au constat, tout en lui nuançant son désir pornographique de performance.
To come (extended), dans la lignée des thèmes habituels explorés par l’artiste danoise, est une loupe sur les corps, sur les sexualités, les plaisirs (on se souvient de son 7 pleasures présenté en 2015) . Il reste assez mécanique, à l’image de ce qu’il observe -dans une démarche assez logique finalement- et peut-être un peu en retrait de ce qu’il aurait pu être, au regard des évolutions du sujet même qu’il décrit -la sexualité, la sexualité de groupe, le rapport à la pornographie-, entre sa version 2005 et sa récréation en 2017. Mais To come (extended) reste une réussite esthétique, chorégraphique, construite en toute cohérence avec son sujet, questionnant chacun et la société sur l’équilibre entre une banalisation des pratiques sexuelles et la chute de certains tabous, et la normalisation des bornes qui deviennent parfois des repères.
Rick Panegy