[Spectacle – Critique] Warm / David Bobée / Ronan Chéneau

Du 10 décembre 2019 au 5 janvier 2020 au Théâtre du Rond-Point
Vu au CDN Normandie en mars 2018

Warm est cet objet hybride, mêlant la performance à la littérature, l’interprétation à la mise en scène, la représentation à la symbolique. Il embarque doucement le spectateur dans un espace de mots où s’entremêlent l’érotisme et la sensualité, et où se répondent les gestes et les corps, dépassant la simple illustration. La chaleur n’est pas qu’évoquée, elle est ici vécue, par les sens : la vue, l’ouïe, le corps et l’esprit. Et derrière la sensation se joue ici le spectre politique du fantasme et de la sexualité.

Sur scène, Wilmer Marquez et Edward Aleman, deux athlètes circassiens, performent, enchaînant les figures les plus acrobatiques et les plus sensationnelles… Ils représentent cette force masculine, archétypale, une puissance et une musculature que David Bobée va, déconstruire, confronter à la force du désir féminin.  Autour d’eux, les projecteurs, par dizaines, chauffent l’espace scénique au fur et à mesure que les mots de Ronan Chéneau, lus par Béatrice Dalle, et écrits spécialement pour ce spectacle, chauffent l’esprit. Et peu à peu, les corps des deux performers se dénudent et fatiguent, faisant glisser la maîtrise du mouvement et de la représentation circassienne en entrechoquements des corps. L’échec, la tentative, la connivence, l’échange succèdent au rectiligne de la réussite et de la maîtrise. Il s’opère sous les yeux du spectateur un laisser-aller, une ouverture vers des possibles inattendus et incertains : sur scène se vit donc métaphoriquement ce que Chéneau décrit dans son texte sensuel, une ode à la sensualité des corps voués et soumis aux désirs, à la sexualité, variée, multiple, imprévue. C’est que la sexualité de la femme narratrice,  fantasmée, puissante, déborde des mots pour accoucher sur scène, et défaire de son élan puslionnel les représentations usuelles sociétales de la domination sexuelle masculine.

Car ce texte, déclamé côté cour par Béatrice Dalle comme on interprète et comme on vit le réel (il faut la voir se mouvoir, se languir, regarder ses yeux et ses gestes tandis qu’elle module sa voix, tantôt grave, tantôt suave ou encourageante), est un texte rempli de sueur et d’épiderme, de jouissances, de fantasmes et de sexes érigés ou désirés… Ici, la femme modèle sa sexualité à l’image de ses fantasmes, qu’elle s’autorise sans honte et sans détour.

David Bobée, dans un ensemble scénique où la sobriété répond à l’exaltation cathartique, fait se répondre dans un équilibre tendu les mots et les corps, les fantasmes et le réel, l’esprit et la chair. Et tandis que sous les projecteurs, la température monte dans la salle jusqu’à 45°C, le spectateur est invité, de gré ou de force, à embrasser la moiteur et à se fondre dans la torpeur admirative : l’état nonchalant dans lequel il est plongé endort la perception pour n’en faire ressortir que le plaisir des yeux -ces corps qui se complètent- et celui de l’âme-bercée par la volupté humide des mots-. Au loin, peut-être trop en sourdine, se dessine la question politique de la place légitime de la femme au cœur de ses rapports à l’homme.

Rick Panegy