L’explosion, radicale, du modèle patriarcal est la seule issue. De ce chaos viendra alors l’apaisement. Seulement après. D’abord, prendre les armes, en “féministe guerrière” pour faire éclater les archétypes de la virilité et les cloisonnements induits par les stéréotypes de genre. Saison sèche est une oeuvre totale, une oeuvre plastique et politique, où tout est -comme toujours chez Phia Ménard– question de symboles et d’engagements.
“Je te claque la chatte”. C’est par cette violence verbale, symptomatique de celle, quotidienne, vécue par les femmes, autant verbale que physique, et qui les réduisent à leur organe sexuel, que Phia Ménard débute son spectacle. Elle s’approche de la scène, rideau encore fermé, prend une respiration après avoir longuement pris à témoin les spectateurs et jette, comme un pavé, cette déclaration aussi crue que violente. Le ton est donné.
Alors débute une série de chapitres qui vont déconstruire le patriarcat, jeter en pâture les stéréotypes de la masculinité, ceux qui oppressent les femmes jusqu’à les réduire à une position de soumission sociale. Une série de chapitres qui vont aboutir à insurrection, à la révolte, à la prise de pouvoir pour détruire le schéma actuel. Sur scène, on débute par un caisson, blanc, où des néons éclairent sept femmes, allongées de dos, jambes écartées offrant leur vagin en spectacle au public. Le plafond est bas, oppressant. Il se relève pour laisser plus d’espace aux femmes mais se rabaisse violemment dès que s’expriment trop librement les danseuses, qui s’écrasent alors au sol, soumises, maintenues dans une peur, face à une force invisible mais omniprésente et omnipotente. Qui est cette force, qui détient le pouvoir ? L’homme ? Le patriarcat en tout étant de cause, comme un système établi. Longue de plus de vingt minutes, cette oppression tant symbolique que physique des danseuses, enfermées dans leur caisson, est une des images fortes de Saison Sèche, qui ne tarde pas à alors à donner de l’espace à ces femmes, comme pour engager une course vers une libération : il s’agit, sans détour, d’exploser le cadre qui les “maintient”. Sortir du cadre, sortir de la boite. Éclater les murs, briser le schéma sans faille de cette boite lumineuse et lisse. D’abord gommer les stéréotypes qui les maintiennent femmes aux yeux des hommes : gommer le pubis, les seins, recouvrir de peinture ces parties du corps que l’homme réduit à la définition de la femme. Se peindre comme on part à la guerre. Puis moquer les archétypes du “mâle”, du “masculin”, les clichés d’une virilité qui s’expriment dans notre société. Moquer la “survirilisation” du monde qui entoure les femmes, et la segmentation, le cloisonnement, des archétypes qui seraient exclusivement masculins. Après avoir singé le rapport “testiculaire” de l’homme à ses attributs (faisant ensuite rouler au sol les trop admirées testicules de ces messieurs), les danseuses se vêtent des oripeaux des “mâles”, autre violence quotidienne qui rappelle, au jour le jour, les rôles trop définis imposés à chacun.e.
Autour de ces saynètes se construit peu à peu une danse en forme de rituels, des rondes et des marches martiales, comme pour entrer en guerre, comme pour invoquer une force collective latente. Appeler à la révolte. Les femmes sont désormais debout, fières, énergiques, marchant d’un pas à l’unisson vers des horizons moins pacifiques. Il n’est plus question de soumission. Le caisson qui les enfermait, par ailleurs, s’est élargi, libérant l’espace pour cet appel à la destruction du modèle. En haut de ces paroi blanches et sans aspérité, comme un espace où l’achoppement n’est pas possible pour la femme, des ouvertures, en forme de meurtrières, d’où les hommes observent peut-être celles qu’ils maintiennent dans un système. Mais la révolte, en marche, détruira physiquement, dans un final aussi plastique que dérangeant, cet espace du patriarcat, laissant les murs s’écrouler et les parois dégouliner de la tourbe d’immondices engendrées par des siècles de patriarcat. Les danseuses, dans des gestes lents mais sans crainte, finiront d’achever ce qui restera comme les ruines d’un modèle montré comme passéiste, obsolète. La musique sourde et électro, grondante et vibrante, comme un dernier râle du mâle dominant, s’arrête soudainement. L’apaisement est enfin là, jaillissant des stigmates d’une guerre nécessaire.
Si l’écriture des spectacles de Phia Ménard, désormais politiques (après le cycle personnel, de PPP à Vortex), est parfois sursignifiante de symboles, et offre, dans sa plasticité indéniable, un parcours parfois très balisé de lecture, et si la caricature s’invite par instants, l’oeuvre de Phia Ménard reste utile et nécessaire, engagée et sans détour, et offre autant le plaisir plastique que l’expérience sensorielle, lesquelles créent par delà la représentation une réflexion politique et sociétale utile.
Rick Panegy
© Christophe Raynaud de Lage