[Danse – Critique] Kalakuta Republik / Serge Aimé Coulibaly

[alert variation=”alert-info”] EN BREF :  A partir de la vie et de la musique de Fela Kuti, artiste nigérian engagé et résistant, disparu en 1997, Serge-Aimé Coulibaly fait vivre dans son Kalakuta Republik une danse continue, urgente, presque violente et remplie d’une énergie de l’espérance. C’est l’occasion pour le chorégraphe d’élargir les idées des combats de Fela Kuti : la jeune génération du Burkina-Faso, et la société burkinabé elle-même, d’où vient Coulibaly, sont confrontées à des problèmes de corruption, de réduction des libertés, d’un manque d’espoir, à l’image de la société nigériane dessinée par Kuti.[/alert]

Sur un plateau inspiré de Shrine, ce lieu où priait Kuti avec son public avant de donner des concerts et d’y faire vivre la danse et la musique, sept danseurs livrent en continue une danse énergique et passionnée, où s’exprime les violences, les espoirs, les besoins d’émancipation ou encore les séductions et les revendications. Le schéma est classique, progressif, jusqu’à parvenir dans la seconde partie à une “décadence” revendiquée et assumée, qu’elle s’exprime par un plateau renversé et saccagé, par une chorégraphie moins ordonnée qui appelle à l’expression d’un défoulement, d’un affranchissement, et par des projections vidéos (qui manquent de lisibilité par instants ; on y voit peu les images d’archive sensée être projetées) .”Decadense is an end by itself” affiche-t-on sur le mur en fond de scène… des chapitrages projetés qui se succèdent, de “All that glitters is not gold” ou “All we need is a poet“… Tout cela fait de Kalakuta Republik une forme tout de même bien calibrée et usuelle, et dans le geste et dans la scénographie, et dans la dramaturgie. L’utilisation de l’espace du plateau, des projections, la volonté de proposer un spectacle cathartique, le fond politique, l’écriture segmentée, enferment tout de même Kalakuta Republik dans un consensus conventionnel qui s’éloigne finalement un peu de la contre-culture révolutionnaire portée par Fela Kuti en son temps, dont s’inspire Serge-Aimé Coulibaly, qui par ailleurs danse aussi sur scène avec une énergie formidable.

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L’énergie et la générosité habitent par ailleurs tous les danseurs dans un ensemble cohérent ; qui mêle gestes collectifs et expressions individuelles… Comme souvent chez Coulibaly, il faut un instant de harangue, de parole politique, des mots face public qui exhortent. Le geste et l’élan des corps et de la mise en scène auraient pu suffire…

A noter toutefois l’excellent travail d’Yvan Talbot, qui a adapté, façonné, donné corps à la musique de Fela Kuti (particulièrement dans la seconde partie) pour en faire un double écho : un rappel à la nécessité de la transcendance, avec la danse, par une musique festive qui embarque dans un cycle perpétuel, inusable ;  et un rappel à la nécessité d’une énergie vigilante, une musique qui exhorte à la préoccupation.

En somme, Kalakuta Republik est une spectacle bien fait, bien écrit. Le fond est engagé, la forme est saisissante. Pourtant, il lui manque quelque chose, de plus éperdu peut-être, de moins intellectualisé peut-être aussi, pour prendre au ventre le spectateur, lui faire ressentir cette impérieuse soif de liberté d’une jeunesse burkinabé, cet autoritaire besoin d’expression d’un peuple qui ne souhaite pas vivre dans un schéma de corruption. De la rage et de la joie, de la colère et la vie. Moins lisse…

Rick Panegy 

[icons icon=”info-circled” color=”#dd3333″ size=”16″] Crédits Photos / ©  Christophe Raynaud de Lage