[Spectacle – Critique] Vaille que Vivre / Juliette Binoche – Alexandre Tharaud

[alert variation=”alert-info”] EN BREF : Autour du souvenir de BarbaraJuliette Binoche et Alexandre Tharaud se sont retrouvés pour composer un spectacle où la musique et les mots de l’artiste française disparue en 1997 allaient être mis en lumière. Vaille que vivre, malgré la beauté des notes et des paroles de la “dame en noir”, finit par devenir un condensé chic et prétentieux, rempli d’artifices, loin de l’humilité et de la simplicité brute de l’art de Barbara. [/alert]

Bien sûr, il y a les mots, les paroles, les textes de Barbara. Ceux de ses chansons, de “Femme piano” à “Nantes”, en passant par “Ma plus belle histoire d’amour”, “Sid’Amour à mort” ou “Perlimpinpin”. Bien sûr, il y a les notes, pures et réduites à leur plus percutant pouvoir mélodique : “Pierre”, “Gottingen”…

La poésie mélancolique des textes de Barbara, l’amour de la vie et la passion, le verbe exalté et engagé, et toute la force, rage au ventre, des mots de l’artiste éclatent sur la scène. Par nature, ils accrochent. Ils happent au cœur, ils pénètrent dans l’intime. Les mélodies, elles, bercent de l’enfance à la nostalgie, restent comme une rengaine languissante, un chagrin, une ritournelle. C’est aussi une ode à la légèreté. Les doigts habiles et délicats d’Alexandre Tharaud, pianiste mondialement célèbre et reconnu, capables de jouer mélodies mille fois plus virtuoses, rendent parfaitement la délicatesse et la simplicité percutante des notes de Barbara. La voix de Binoche, elle, tantôt grave et pesée, tantôt radieusement épicurienne, collent aux mots de la chanteuse interprète. Le talent de la comédienne mutli-récompensée, capable de basculer d’un registre à l’autre avec la plus exaltante facilité, est idéal pour embrasser les états d’âme de Barbara… Que s’est-il alors passé pour que ce “Vaille que Vivre” ne touche pas au cœur ? Pour qu’il se hisse au-dessus de la brutalité vitale qui faisait la force de l’art de la chanteuse ?

Parce que la musique de Barbara n’avait rien de l’artifice, rien de l’invention et de la construction. Et était la simplicité, l’authenticité et la sincérité-même. Ce Vaille que Vivre là, créé dans la majestueuse cour du Lycée Saint Joseph au Festival d’Avignon, est tout l’inverse. Il affiche une accumulation d’artifices, de gadgets scéniques au bord du cliché, et flirte en permanence avec la prétention ou la fatuité élégante. Pendant une heure trente, on alterne de la coquetterie dandy, où on surjoue la beauté sensible, et l’émotion appuyée. Le piège, en jouant et interprétant Barbara, était de plonger dans le décorum. Alexandre Tharaud et Juliette Binoche s’y sont repus.

Il fallait du Noir, bien sûr. Tout est noir, les costumes, le piano, la scène. Juste quelques poursuites blanches, violettes parfois… Des couloirs, des rectangles de lumières dessinent des espaces au sol, zones de jeu pour les deux interprètes : on entre pieds nus (pourquoi ?), on s’allonge sur le sol, on caresse un petit piano miniature, on perd son regard au loin, on chante dos au public, on marche très lentement… Les mots chantés et parlés s’entremêlent, les notes s’y joignent. Tharaud et Binoche se donnent la réplique, se partageant les mots de Barbara (ses chansons, ses interview, son livre, ses notes…) : on assiste alors au plus cliché des échanges surjoués , chacun se faisant écho de l’autre, répétant les fins de phrases, en se tournant le dos, en se déplaçant dramatiquement comme une parodie d’un film de Bergman. On module sa voix, on se répète, plus grave, plus interrogateur, plus doucement, plus délicatement…  Plus tard, Binoche –on connait l’étendu de ses talents- sautillera du rire aux larmes, de la gorge nouée à l’éclat de joie dansé et hurlé. Ce Vaille que vivre finit par devenir de la démonstration. Pour les 20 ans de la mort de Barbara, les hommages pleuvent, films, disques, spectacles. La comparaison est inévitable : on pense à Depardieu, qui avait en janvier aux Bouffes du Nord, offert un émouvant hommage, avec « Depardieu chante Barbara » qui vibrait par sa simplicité et sa brutalité émotive. Juliette Binoche, présente dans la salle, s’est peut-être dit qu’il fallait faire tout l’inverse…

En somme, tout au long de ce récit où il faut souligner toutefois le travail d’écriture et de recherche des deux artistes dans les chansons et archives de Barbara, les artifices de mises en scène viennent polluer la spontanéité et la sincérité brutes et pures des mots et des notes de Barbara. Quelques simples notes, quelques simples mots, et Barbara touchait au Vrai. Ici, il y a dans cette surenchère d’élégance, d’émotion, de chic et de beau, dans cette volonté de donner l’illusion du sobre et du cachet, un écueil regrettable et triste : le contresens habite ce Vaille que Vivre clinquant. L’humilité absente. Barbara, elle, est reléguée derrière les immenses stars que sont Binoche et Tharaud, qui même pieds nus, ne parviennent pas à s’effacer au profit de la simplicité émouvante de la Dame en Noir.

Rick Panegy 

 

[icons icon=”info-circled” color=”#dd3333″ size=”16″] Crédits Photos / ©  Gilles Vidal