[alert variation=”alert-info”]Avant toutes disparitions emporte, loin de toute narration, vers les sommets de la danse sensitive, faite d’impressions et de générosité. On y est happé par les explorations de Thomas Lebrun : l’abandon, la disparition, la perte d’une partie, d’un tout… Le renoncement est tantôt serein, tantôt conflictuel. La disparition – ce qui la précède et ce qui la suit- semble être la réponse à une inéluctabilité à embrasser, nécessairement, et à accepter avec la sagesse de l’apaisement. [/alert]
Sereinement, lentement, sur la pelouse qui occupe la scène, débute un pas de deux paisible, imperturbable sur la musique jazz de McKinney’s Cotton Pickersc : Odile Azagury et Daniel Larrieu semblent communier, avec la tendresse de l’âge et l’élégance de la distinction. On se croirait chez Pina Bausch et Peter Pabst. Elle, doucement, sort de scène à plusieurs reprises, revient à chaque fois, avec des fleurs, qu’elle plante avec Daniel Larrieu. Derrière, les longs défilés, de cour à jardin, en fond de scène, ne concernent pas encore le couple âgé. Les danseurs, tandis que la musique devient plus electro (musique originale de Scanner), enchaînent au loin longs gestes lamentés, passages furtifs de joie ou d’étreintes, de batailles ou de chutes. Les corps fuient, ils se protègent ; ils subissent comme ils combattent. Inlassablement, Odile Azagury et Daniel Larrieu poursuivent leur entreprise : les fleurs envahissent le plateau.
La beauté des gestes, des mouvements du langage chorégraphique de Lebrun -faits de successions binaires, de ruptures de rythmes et de glissés subtiles- répond avec grâce au propos doux-amer de Lebrun. Le chorégraphe de Lied Ballet et de La jeune fille et la mort montre la perte, la rupture, la déchéance, l’humiliation, la honte, la peine : la finesse des compositions enrobe la douleur des disparitions qu’explore Lebrun. Dans Avant toutes disparitions, on perd son identité, sa dignité, ses souvenirs, sa joie : chaque instant est l’expression d’une exploration de la perte.
Sur scène, les danseurs qui défilaient au fond ont rejoint le couple sur la pelouse : l’espace qui séparent les générations se réduit, il devient le lieu d’une expression commune des contraintes, des combats et des amours. Chacun, sans distinction d’âge ou de sexe, y exprime les mêmes épreuves. Les fleurs, fraîchement plantées, ne résistent pas aux pas aux élans du groupe.
Avant toutes disparitions exprime, dans une esthétique poétique, l’ensemble de toutes les disparitions possibles. C’est un parcours pesant de peines, de nostalgies et de douleurs qu’évoque chaque tableau, que ce soit lors des mouvements de groupe sur les pulsations de Scanner ou le magnifique instant suspendu sur Just de David Lang. Mais le final, grave et crépusculaire, bouleverse soudainement la lecture de ces disparitions : l’épilogue, fait d’impressions et de sensations, d’émotions et de sérénité, redonne à l’individu sérénité et sagesse, loin des agitations exprimées dans la première partie. L’inévitable et ultime disparition, la mort, est étirée dans un final bouleversant aux lumières fuyantes, et diffus dans une brume rimbaldienne. Le temps est suspendu, flottant. Le couple expérimente la dernière perte, la dernière disparition : elle se fait dans un apaisement qui s’alanguit, succédant aux instants d’immédiateté que Lebrun a exploré.
Avant toutes les disparitions, il y a le souvenir, il y a l’exhalation, il y a la peur ou le soulagement. L’espace du plateau de Lebrun devient le lieu où les expériences de l’individu deviennent une communion universelle. Comme si, avant toutes disparitions, il était surtout nécessaire de comprendre l’inévitable : le départ n’est pas une fin, il est un aboutissement, une conclusion.
Rick Panegy
Interview de Thomas Lebrun avant la création de “Avant toutes disparitions“.
Rick Panegy