Vu au Festival d'Avignon 2019
Souvent considéré comme une vaine âme symboliste par sa complicité avec Régy et Maeterlinck, Daniel Jeanneteau prouve que la métaphysique théâtrale est bien plus politique qu’on le pense. Adaptée pour la première fois, la fable plutôt exigeante de Martin Crimp ne déploie rien d’autre qu’une renaissance inquiète de la tragédie dans une salle de classe en friche (qui ne dépayse pas tellement les scénographies que le metteur en scène a réalisées pour Jean-François Sivadier.) Chef-d’œuvre encore méconnu en France, Le reste vous le connaissez par le cinéma tente de ficher dans l’objectif rationnel du langage postmoderne la matière “floutante” et énigmatique du verbe tragique, que Hans-Thies Lehmann définit dans son dernier ouvrage comme l’espace dramatique du choc et de l’indéterminé. Et pour une fois, le chœur de jeunes filles issues de la banlieue parisienne ne surimprime pas un cadre politique bien-pensant susceptible de rebrousser illusoirement un certain partage du sensible, mais constitue par ses interventions polyphoniques ou ses silences habités le poumon esthétique et métaphysique de cet acte d’intervention sublime, pour une fois activé par une simple théâtralisation de la parole.

(c) C.Raynaud de Lage
Prouvant que l’écriture contemporaine est susceptible de renouveler en profondeur nos seuils de perception et d’être politique sans tenir le moindre discours, le spectacle de Jeanneteau tire sa puissance d’une palette éblouissante de comédiens. Dominique Reymond en grande tragédienne balbutiante produit une gestualité symboliste totalement fascinante, tandis que la géniale beaufitude œdipienne de Yann Boudaud entraîne l’habituel mysticisme des aveugles vers une belle crasse désenchantée. « Comment les morts peuvent-ils vivre maintenant ? » ne cesse de proclamer cette sonatine des spectres, grand hommage au mystère tragique dont le théâtre est capable quand il réédite audacieusement ses cas d’école.
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Pierre Lesquelen
Tournée :
- – 9 janvier au 1er février 2020, T2G – Théâtre de Gennevilliers Centre dramatique national
- – 7 au 15 février 2020, Théâtre National de Strasbourg
- – 10 au 14 mars 2020, Théâtre du Nord
Centre dramatique national Lille Tourcoing Hauts-de-France - – 20 et 21 mars 2020, Théâtre de Lorient Centre dramatique national