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par
Rick Panegy
“Stratégie de l’échec”
S’inspirant des écrits de Thucydide, historien et stratège athénien du 5e siècle avant notre ère, Maguy Marin délivre un spectacle âpre et bavard, bruyant et encombré, où l’ambition politique de l’artiste, dont l’engagement confine ici au militantisme, se heurte à la réduction de son propos à une posture. Éprouvant.
“Y aller voir de plus prêt” n’est pas instructif. Il n’est pas davantage ce levier qu’offre le théâtre pour la réflexion, cet appel au spectateur à développer une pensée, à mettre en branle l’intelligence et l’esprit, à confronter sa pensée à une autre. Ce dernier opus de celle qui créa les chefs d’œuvre MayB, Faces ou Umwelt confine tout juste à la didactique. En se plongeant dans l’œuvre de Thucydide, “La guerre du Péloponnèse“, dont elle livre des extraits entiers lus par 4 comédiens, sans pause et au débit intensif -empêchant ainsi tout accès au récit et aux enjeux intrinsèques- l’artiste entend démontrer que les conflits et leurs enjeux semblent nés avec l’Homme et son histoire moderne. Elle compte démontrer, nonobstant la capacité des dirigeants, militaires, politiques et hommes d’états à engager ici des traités de paix, là des pactes de non-agressions ou des trêves, que l’histoire se répète inlassablement, et que, incapable d’en tirer le moindre enseignement, l’Homme replonge dans les absurdités guerrières. C’eut été acceptable si l’engagement politique -dont Maguy Marin ne s’est jamais détachée- avait été ici le fruit d’un travail documentaire débouchant sur la confrontation de l’émotion à la réflexion : en lieu et place, c’est d’un ton professoral qu’elle remplace l’alerte par l’injonction. Le propos est remplacé par le discours, lui-même englué dans une logorrhée d’extraits de l’œuvre de Thucydide. La langue de cet ouvrage, pourtant, n’est pas aisée, surtout lorsqu’elle débitée plus d’une heure durant, et s’attache à évoquer, par l’érudition militaire, les stratégies et les manœuvres diplomatiques. L’œuvre de Thurycide se réfère également à une époque dont les références nous sont éloignées. En somme, le propos n’était donc pas de faire accéder aux détails du récit, et par conséquent au sens et aux enjeux de ce qui y est dit, mais d’abreuver le spectateur d’informations militaires, illustrées d’ailleurs par un mimétisme scénographique (avec notamment des projections illustratives sur de multiples écrans, des pancartes relevant quelques mots clefs), de l’assommer de mots et d’images, pour achever le spectacle par un choc visuel et sémantique.

– La guerre c’est mal !
Ben alors pourquoi tu recommences ?
Jsais pas j’ai pris l’habitude…
Procédé habile mais roublard : après avoir accablé le spectateur de mots entassés, enchainés, et de récits inaccessibles et fragmentés, relatant une guerre vieille de 2500 ans, Maguy Marin fait défiler, projetée sur toute la scène, le liste exhaustive Wikipédia de toutes les guerres de l’histoire de l’humanité -rien que cela- sans qu’aucun mot ne soit cette fois prononcé, aux seuls sons de coups frappés au sol -ah, la violence et la bêtise de l’homme, incapable de ne pas répéter ses erreurs-. Et voila, ainsi, sa proposition réduite à une posture binaire : la guerre a toujours existé, elle a souvent glissé vers le totalitarisme et la misère, et depuis 2500, nous répétons ici et là dans le monde le même système avec les mêmes conséquences. Évidement, c’est mal.
Comble du discours sans nuance, Maguy Marin ajoute à sa faconde l’amalgame trompeur : pendant la lecture du récit de guerre de Thucydide défilent à Jardin des photographies d’hommes politiques, d’hommes d’affaires ou de grands patrons du 20e siècle. Pourquoi uniquement le 20e siècle ? Peut-être pour frapper le spectateur par une certaine proximité avec sa propre histoire. Mais en y mêlant tous les hommes politiques, tous les hommes d’affaires, de Macron à Jeff Bezos, sans autre procédé qu’une mise au pilori avec affichage du visage et du nom, il n’y a qu’un pas vers le “tous pourris” et “tous de mèche“, le complotisme latent et la vindicte en sourdine. L’immense chorégraphe toulousaine que fut Maguy Marin nous avait habitués à davantage de nuances, de subtilité ; elle avait longtemps fait davantage confiance à l’intelligence de son public, à la capacité de la puissance évocatrice de son art, et au pouvoir de l’émotion et de la pensée.
Vu au Festival d'Avignon - Juillet 2021