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par
Rick Panegy
Dans l’Église des Célestins, fabuleux écrin gothique du 14ème siècle, et classé monument historique, rayonne l’exposition “Proche” de Grégoire Korganow. Photographiant l’environnement des détenus, l’artiste révèle une part d’intime en trois chapitres, que le cadre de l’Eglise magnifie et enrobe d’une spiritualité émouvante.
Grégoire Korganow travaille depuis 2008 sur l’univers carcéral. Ses séries “A côtés” et “Prisons” invitaient déjà à rencontrer ce “monde coupé du monde”, sans être intrusif, en restant à la porte de l’intime, en l’effleurant et le laissant surgir. Devenu Contrôleur des Lieux de Privations de Liberté en 2010, son travail est issue d’un regard au cœur de ce qui constitue l’absence au monde, à la société. Il ne peut être entaché d’un voyeurisme intrusif ; il est au contraire, dans cette série “Proche” exposée ici au Festival d’Avignon, emprunt d’un regard bienveillant qui rend la conscience et la parole aux détenus, à leur famille, aux rêves d’avenir, aux désirs d’ailleurs et d’après, qui montre l’envie d’élévation.
Au gré d’un parcours au cœur de l’Église des Célestins, dont l’architecture permet une scénographie (Bernard Bréchet, bravo) tout simplement pure et belle, le spectateur est confronté à 3 chapitres : “L’instant d’après”, “Périphéries” et “Mon rêve familier”. On y rencontre dans le premier chapitre les portraits des visiteurs (famille, amis…) après leur rencontre avec un détenu, par exemple au parloir. Photographies des corps et des visages sous tension à leur sortie du parloir, où on se confronte dans le dénuement et l’éclairage lumineux de la photographie aux regard et aux corps de ces personnes, tiraillés entre joie et amour, tristesse et espoir. La palette des émotions, présentes au plus profond des ces âmes, débordent et transpirent à cet instant. Sublime. Le second chapitre, ces “périphéries” des lieux qui coupent du monde les personnes déjà privées du monde, s’attardent sur l’autour des prisons, ces champs, ces forêts, ces endroits où ni vie ni société n’a droit de cité. Paysages d’absences et de temps suspendus. Le dernière série, “Mon rêve familier”, nous amène aux portes de l’intime des détenus : ni leur visage, ni leur voix ne portent leur désir, leur rêve, que Korganow porte à nous. Ils resteront cachés et inconnus. C’est par leurs mots, et la seule force des mots, qu’ils se livreront. Des lettres affichées, manuscrites, écrites au photographe, dans lesquelles -et souvent d’une belle qualité littéraire- les détenus livrent leur espoir, l’ambition ou le fantasme, l’envie d’après. Certaines lettres sont bouleversantes. Dans le cadre des alcôves et des piliers de l’église, sur ses murs, parfois caressés d’une vive et douce lumière qui vient frapper les lettres et les mots, une certaine sublimation s’empare du lieu et du moment, quelque chose de l’ordre du spirituel, de la prière, et plus que cela, de l’appel à vivre et à la dignité. L’émotion alors dégagée se poursuit dans une cabine où ces lettres sont lues, par des anonymes, des quidam volontaires, qui prêtent leur voix aux mots des détenus : il se créée alors un lien entre tous, tous ces “chacun” qui évoluent dans une monde qui les sépare, inconnus, s’ignorant.
“Proche” est de ces expositions qui rencontrent leur lieu, et qui parviennent à montrer autre chose que ce qu’elles affichent, de cette impalpable émotion à cet indéfinissable sentiment de connivence et de douleur mêlée à l’espérance. Une réussite.
Vu au Festival d’Avignon 2021 – Église des Célestins