Pour tous ceux qui considèrent que pour aimer un spectacle, il faut tout comprendre.
(Ô) Romeo Castellucci, icône respectée du théâtre contemporain, star insurpassable des années 2000, maharaja sublime des grandes scènes, messie inouï du mélange de tout ce qui fut et sera le théâtre (comment non?), est à l’honneur du Festival d’Automne 2014. Il y est l’invité principal, avec trois pièces, dont ce Go Down Moses, lumineux et obscur (oui, oui… bon ça va on aurait pu écrire “crépusculaire”, c’est un mot passe très très bien dans les billets “culture”…)
Débat. Certains diraient :”Castellucci n’est pas un metteur en scène, il n’est pas davantage scénographe, costumier ou écrivain, dramaturge. Il n’est pas à la lumière ou au son. Il est tout cela en même temps et bien autre chose, malgré tout. Il est plasticien et davantage encore. Il est visionnaire et étrange. Il est autre.” D’autres diraient : “C’est creux et prétentieux” (Non, on ne donne JAMAIS de noms ! …. Pour l’enveloppe dans laquelle vous glisserez un petit chèque, contactez-nous par mail….)
Et le sens de Go Down Moses, visiblement, échappe à certains spectateurs. Comment nous aussi? Que nenni. Et nous allons le démontrer derechef, dans un élan philanthrope remarquable.
[icons icon=”right-fat” color=”#8224e3″ size=”22″]Vous qui errez donc dans les volutes mystérieuses de Castellucci, dans les méandres sémantiques de l’auteur, nous vous expliquons ici, ce qu’il fallait comprendre de Go Down Moses. Ne nous remerciez pas.
Il s’agit donc d’une vision de la vie de Moïse vu surtout à travers sa mère (ou un mère d’aujourd’hui qui se prendrait pour la mère de Moïse, ou verrait en son enfant un nouveau Moïse…) : accouchant dans la douleur, abandonnant son enfant, la mère (?) de Moïse finit par passer un scanner, après avoir été interrogée par la police. Elle semble se retrouver à l’intérieur d’elle-même, dans ses pensées, dans le passé ou dans les origines (?) à l’image d’une caverne dans laquelle des hommes préhistoriques enterrent un enfant, copulent à nouveau, et écrivent SOS, dominés par des regards divins et des nuages anthropomorphiques… Voila voila… Détails à suivre.
Allons, commençons l’analyse… la FINE analyse… Go Down Moses est composé d’une ouverture, d’un prélude et d’un interlude, de quatre tableaux. On décortique tout ça. Concentration !
1/ Tiens tiens… Une ouverture, un prélude, un interlude, quatre tableaux … Ça fait 7 ! Le chiffre de Dieu. Qu’on se le dise, cette pièce sera mystique ! (oui, bon en fait, il y 4 tableaux ET DEMI, mais bon fallait bien tomber sur 7, sinon ça n’avait pas de sens!)
OUVERTURE : DANS LES CHAMPS D’ASPHODELE (=> wikipédia)
2/ Les spectateurs sont invités à s’installer alors que sur scène, marchent lentement des hommes et des femmes. C’est évident : c’est notre propre histoire qu’on verra sur scène. Eux, c’est nous !
3/ Ils marchent, sans but et sans mot, déambulant de droite à gauche. Nul doute : Ils (nous) ont besoin d’un GUIDE !
PRELUDE : ROULE GALETTE
4/ Un grand rouleau apparait au centre de la scène. Il se met à tourner dans un bruit assourdissant : La religion est un rouleau compresseur !
5/ Non, la religion tourne en rond !
6/ Mais voyons, ce que dit ce rouleau c’est que la vie est un cycle ; un éternel recommencement. Il faut rebooter tout ça ! #MosesReborn
7/ Une perruque tombe doucement du plafond : c’est un scalp ! Et le scalp, n’est-ce pas le symbole de l’esprit chez les Iroquois, le lieu de l’âme ??? Les cheveux, ce qui sépare le corps du Ciel !!! Vous voyez ?!
8/ Oui, mais cette perruque se fait happer par le rouleau : la religion (oui le rouleau c’est la religion!) détruit l’esprit ! La religion embobine l’esprit !
9/ Les cheveux, ce sont ceux de la mère de Moïse. Symbole : la pauvre femme est une femme sacrifiée !
10/ La perruque est touffue (ah si, quand même, elle est touffue) ; c’est l’image du BUISSON : Dieu va parler !
11/ La malheureuse perruque a fini son chemin à côté du rouleau (le 5/11/2014), une deuxième perruque glisse donc à l’identique et se fait ce coup-ci embarquer par le rouleau : Castellucci a mal calculé son coup, il avait (OUF) prévu une perruque de rechange.
12/ Non, non, c’était prévu, il veut juste nous dire qu’on n’échappe pas à son destin. C’est tout !
TABLEAU #1 : FEMME FONTAINE
13/ Une femme, enfermée dans les toilettes d’un bar, accouche visiblement dans une douleur atrocement sanglante, inondant le carrelage, sans un mot… Apparemment, cette femme, c’est Yokébed ! Yokébed !!! Mais si, YOKEBED ! LA MERE DE MOISE !
14/ Pas du tout, le fait que la naissance de l’enfant soit transposé à notre époque prouve qu’il s’agit juste d’une folle qui se prend pour Yokébed (comme on le verra plus tard)
15/ Elle saigne beaucoup, plus que de raison : elle est punie ! Par Dieu, sûrement !
16/ Non, elle subit la bêtise de l’homme, son mal est le simple écho de la douleur de l’espèce humaine, en déshérence…
17/ Le sang, c’est la future Mer Rouge, sa propre douleur, son propre fardeau (celui de sa naissance), que Moïse écartera en guidant son peuple !
18/ Non, c’est évidemment l’annonce de la première plaie d’Egypte, un Nil qui se colore d’un rouge glaçant !! Moïse, dès sa naissance, porte en lui l’espoir d’un changement !
19/ Tout ça, c’est simple : c’est de la faute des femmes, de toutes façons ! Toujours ! TOUT !
TABLEAU #1.5 : QU’ELLE ETAIT VERTE MA VALLEE
20/ Un poubelle verte apparait quelques minutes sur scène, un sac plastique s’agitant à l’intérieur : Moïse est vivant !
21/ Puisqu’on vous dit que ce n’est pas Moïse mais l’enfant d’une désespérée qui pense que son fils EST Moïse : Enfin, depuis quand il y avait des poubelles vertes sur le Nil et dans les vallées d’Egypte !
22/ En mettant Moïse dans une poubelle, entouré de détritus, Castellucci nous dit que la religion, c’est tout pourri.
23/ C’est le contraire : le monde qui entoure Moïse est (devenu?) tout pourri, Moïse va arranger tout ça !
24/ C’est pas MOISE le vrai, c’est un NOUVEAU Moïse, celui de la folle. Un nouveau messie qui va venir nous sauver de ce tas d’immondices modernes. (Comment ça vous ne suivez déjà plus?)
TABLEAU #2 : MON FILS MA BATAILLE
25/ Yokébed (alias La femme qui se prend pour Yokébed) est interrogée par un policier (et des psychologues) qui lui demande d’avouer où est son enfant. Une psychologue ? Toc : La religion, c’est une névrose.
26/ Elle saigne encore. Elle mange ou boit un petit quelque chose : Manger, boire, saigner, des éléments de bases, élémentaires, qui feraient assez écho à la fin du spectacle, le début de l’humanité. Il serait donc TEMPS de revenir aux bases ! #BackToBasics !
27/ C’est le seul passage de la pièce parlé, et le seul ou les AUTRES sont présents. Ah AAAAAAAAAAAAAh : le langage étant la marque qui distingue l’homme de l’animal (en tout cas l’Homme évolué!), Castellucci dit sans détour (si avec un peu de détours quand même) que l’enfer c’est les autres. Heureusement que la religion est là pour se retrouver soi-même!
28/ Les autres, c’est surtout ce qui peut vous sauver de la folie pure : heureusement qu’ils sont là pour la sauver, physiquement ET psychiquement !
29/ Lorsque la femme dit que son fils s’appelle Moïse et que c’est Dieu qui l’appelle, qu’il va nous sauver etc, le policier réagit à peine…. Forcément : la religion monothéiste n’est pas encore née, Castellucci nous montre la naissance de celle-ci. Avant Moïse il n’y avait rien, comment le policier aurait pu s’offusquer du délire de la femme!
30/ Au contraire, il ne dit rien car il a bien compris l’urgence, il faut retrouver l’enfant et soigner la femme. Le délire sur Moïse et Dieu ne l’intéresse guère : Ça veut donc bien dire qu’aujourd’hui, tout le monde s’en fout, jusqu’au nom même de Dieu ! Il est temps que cela change !
31/ Le policier, c’est Pharaon ! Donc la femme, c’est le peuple Hébreu tout entier !
32/ La femme s’allonge sur une grande image de lapin…. Euh…. Elle avait faim ? Elle avait besoin d’énergie ?
33/ Allons, allons, le lapin : symbole de fertilité !!!! Cette femme, nouvelle Jocabed (oui parce qu’on peut l’écrire comme ça AUSSI) a le ventre si fertile qu’il engendrera toute une nouvelle humanité, par l’action de son fils, nouveau guide !
INTERLUDE : CHEVEUX AU VENT
34/ Rebelotte : le rouleau se met en route ! (bon retournez voir de 4 à 11 !)
35/ Oui mais ce coup-ci, la perruque était DEJA dessus ! C’est évident : Trop tard, la religion s’est mis en route, l’HISTOIIIIIRE est en route…
TABLEAU #3 : WHAT’S UP DOCTOR ?
36/ La femme qui prend son fils pour Moïse (ou la mère de Moïse donc) est amenée dans un scanner sur un fauteuil roulant. Hop => Les hommes d’églises sont à soigner !
37/ La médecine et la science ont tué la religion et la foi. Voilà ce que ça dit oui !
38/ Tiens tiens, une chaise vide attendait à côté du scanner… Mais l’infirmier repart avec : Cette chaise vide, c’est l’ABSENCE même de la religion aujourd’hui !
39/ C’est davantage l’absence de Moïse lui-même, l’enfant qu’elle a abandonné !!!
40/ C’est simplement un technicien qui s’est planté en mettant en place le décors, il a oublié une chaise de la scène précédente sur le plateau ! Faut bien l’enlever discrètement !
41/ La femme pénètre dans le scanner : forcément sexuel. Si, forcément.
TABLEAU #4 : 50 MINUTES INSIDE
42/C’est parti pour de longues minutes silencieuses, au ralenti, dans une caverne, derrière une paroi de tulle qui sépare la scène du public. Des hommes préhistoriques, et des nuages en formes quasi-humaines… Une caverne ?? AH ! PLATON !
43/ Les hommes préhistoriques dévorent vaguement un truc suspendu un peu doré… C’est le veau d’or ! Ce peuple est donc celui qui idolâtrait, et qui a besoin d’être guidé par Moïse !
44/ Et il s’en rend bien compte, ce peuple pré-religion, qu’il a besoin d’un guide, puisqu’il écrit SOS sur la paroi de tulle !
45/ C’est à NOUS qu’il dit SOS, pas à Moïse allons !!! C’est l’homme qui doit sauver l’homme…
46/ Un nouveau-né est tout flasque, il est mort… Les hommes préhistoriques vont l’enterrer. C’est MOISE qui est mort : Moïse n’a jamais existé.
47/ Mais non, si on est attentif, on se rend compte que juste après avoir enterré l’enfant, le couple copule à nouveau : ça veut juste dire que l’Homme, avant la religion, n’est que dans un cycle de vie, qui le distingue à peine de l’animal ou de la plante. Il n’a pas saisi l’essence même de son existence… Heureusement Moïse arrive !
48/ Les nuages grondent au-dessus de ces hommes préhistoriques. Ces hommes préhistoriques, en fait, ce sont les hébreux et les nuages, ce sont les Egyptiens ! Simple…
49/ Revenons à ce veau d’or… C’est donc Aaron et les siens qu’on voit dans la caverne ! D’ailleurs, ne voit-on pas au loin des hommes approcher : c’est Moise qui descend du Mont Sinaï avec les Tables !
50/ Le fait que tout ces hommes soient représentés en hommes préhistoriques, ça montre bien qu’avant la religion, on n’était quand même pas grand chose….
51/ Mais en fait, ce sont les hommes d’aujourd’hui qu’on voit dans cette caverne : ils écrivent SOS parce qu’ils voient bien que le monde ne va plus très bien, et qu’il nous faut un nouveau guide. Elle avait raison la folle… Il faut un nouveau Moïse, le peuple lui-même s’en rend bien compte !
52/ Cette caverne, c’est le Mont Meriba !!! N’entend-on pas par deux fois un bruit SOURD (le femme qui frappe la paroi en tulle) ??? Ce sont les coups de bâton de Moïse ! (Peut-être bien qu’elle frappe trois ou quatre fois la paroi, c’est possible, oui… bon ok…)
53/ Ah ! Voilà le scanner qui rentre dans la caverne !!!!!!!!! La femme est donc morte : elle retrouve les créatures de Dieu, qui crient SOS … (Franchement, là on doute… Ca deviendrait un peu Insidious 2 … )
54/ Après son scanner, la caverne est l’image qui en ressort : Elle se retrouve dans son propre cerveau. C’est donc ce qu’elle rêve, ce qu’elle désire. En elle, elle n’a que l’origine de la religion comme but, et considère la religion comme un secours de l’humanité en déroute !
55/ Elle pénètre dans son propre utérus plutôt ! Frustrée, probablement culpabilisée par le fait de porter un enfant non voulu, elle trouve dans la religion un bâton de survie ! SOS, c’est son sexe qui le dit !
56/ Elle se lève et pénètre dans la grotte, elle s’allonge là MÊME où le couple préhistorique s’est accouplé : Il s’agissait peut-être bien des parents de Moïse, Amran et Yocabed, bientôt parent du premier messie… Elle se prend donc pour la réincarnation ou l’héritière.
57/ Elle écarte les bras, comme un signe de croix : Comment ? Du christianisme ?????
58/ Oui mais elle les referme sur elle, comme si elle embrassait ce passé. Pour mieux le répéter ?
59/ A la fin, pour les saluts, une bâche noire recouvre le devant du décors : Il n’en faut pas moins pour comprendre qu’il faut recouvrir toute cette religion et ce prosélytisme !
60/ Au contraire, c’est le monde de l’ignorance qui sera bientôt recouvert d’une nouvelle foi.
61/ Les gens applaudissent doucement, surpris par cette fin… Ils n’ont RIEN compris. Ou pas grand chose !
62/ Ils ont TOUT compris, mais sont subjugués par quelque chose : le sens profond, ou la beauté des tableaux… ou choqués par le contenu insupportable qu’ils viennent de voir.. (??)
Vous êtes soulagés à présent, n’est-ce pas ? Si vous avez eu le courage d’aller au bout de ces milliers de mots (oui, plus de 2000) Go Down Moses n’a plus aucun secret pour vous !
Rick Panegy
Théâtre de la Ville / Festival d’Automne 2014