[Théâtre – Critique] Je suis un pays / Vincent Macaigne

Je suis un pays est une forme de naïveté furieuse, une colère mélancolique, un élan à l’action, un pessimisme utopique. Parfois long, au discours parfois simple, il a toutefois la force poétique de la bonté et de la candeur pures. Vincent Macaigne livre à nouveau un spectacle bruyant et hurlant, moins fort que ses précédents mais plus personnel.

Sur scène, pendant quatre heures, les lumières explosent, les décors s’écroulent, la mousse déborde et la musique résonne. La signature Macaigne est lisible en relief : elle entremêle la harangue à la fête, l’angoisse à l’espoir et le chaos à la force d’un possible, toujours… En cela, Je suis un pays n’est guère différent, dans le fond, de ce que Macaigne a toujours proposé. Pourtant, ce spectacle-là naît d’autre chose : il est le fruit d’une réécriture d’un premier jet lâché sur le papier il y a une vingtaine d’années, lorsque l’auteur sortait de l’adolescence. Même si l’auteur pioche ici ou là des citations, ce n’est cette fois pas une adaptation telle que le fût son Idiot ou son Au moins j’aurai laissé un beau cadavre. C’est ce qui fait de Je suis un pays un spectacle authentique, sincère, mais parfois faible. Et cette faiblesse, parfois, d’apparaître comme une qualité. En somme, ce travail de jeunesse est à la fois la force du spectacle et ce qui pêche.

De quoi s’agit-il donc dans Je suis un pays, si ce n’est de la question de l’espoir, de l’avenir ; de la question des peurs et des angoisses ; de celle des actions à mener, dont on sait qu’elles ne se font jamais ; de la question encore de la rage adolescente, la seule qui parvient à lire la misère du monde et à s’en offusquer avec la véritable sincérité de l’être qui entre au monde ? De quoi s’agit-il d’autre que de la question du combat, et de la lutte contre les apathies ? Ce que, déjà, Macaigne hurlait dans Idiots… en adaptant Dostoïevski. Cette-fois, dans je suis un pays, le récit n’est qu’un prétexte, le texte -inégal- un support : notre monde se termine brusquement, par une catastrophe ; un autre monde le remplace, entre assemblées et constitutions diverses, rois ou autres lobbies d’influence. On cherche à reconstruire, tout en observant la fragilité du contexte, et on saute du divertissement outrancier -qui semble s’être imposé au monde, comme l’image- à l’avènement d’une curieuse prophétie, portée par une sœur en superman et un frère en maillot de bain… Qu’importe donc ce récit, brouillon, confus ! Il n’est pas insultant de dire qu’il ne sert à rien, si ce n’est à contribuer à construire un état d’esprit, qui fait se rejoindre la friabilité d’une situation et le sentiment d’étouffement et de colère, ou d’impuissance. Le chaos est observable, il est vécu ; et l’impossible reconstruction, entre sang et tentatives avortées, cris et trahisons, est étalée sur scène. Le spectacle est visuel, il est aussi festif que volontairement épuisant.

Ce qui est à lire, en vrai, dans cette étirement de sons et lumières, de citations et d’ironies, de monologues hurlés et de danses pop avec public sur scène, c’est la naïveté adolescente de la colère impuissante. Et dans cette colère, la beauté de son énergie et de son inconscience. Ou plutôt la beauté de sa conscience : celle qui consiste à savoir que le combat est perdu d’avance mais qu’il faut toujours lever le poing. Il y a dans ce Je suis un pays toute la faiblesse des textes adolescents, toute la banalité des espérances poétiques et naïves d’une jeunesse encore pleine d’idées mais que la noirceur du monde fait mourir, toute la pauvreté du verbe haut et de la colère facile. Mais il y a aussi, et c’est ce qui peut toucher dans Je suis un pays, la force de cette adolescence opiniâtre et rebelle, remplie d’un bon sens furieux et humaniste que l’âge adulte semble perdre au profit de la sagesse ; la beauté d’une rage qui va s’éteindre, celle d’une colère qui est déjà obsolète lorsqu’elle s’exprime…

En réécrivant son texte d’adolescence, Macaigne donne corps à cette frénésie de l’idée naïve et donne à Je suis un pays une cohérence touchante, où l’inutilité de sa colère, vaine et sans but, émeut par sa nature et son origine (lorsqu’elle agaçait dans Idiot…) Naviguant entre prophétie et utopie, Macaigne dessine avec brio la cruauté et la violence du monde tel qu’on le laisse advenir, et crie au réveil et à l’action. Il n’y a rien de plus beau qu’un naïf sincère, grand rêveur des possibles, hurlant en régie pour réveiller le monde : on ne sait s’il sait que le combat est vain, ou s’il garde l’espoir fou que son aile de papillon pourra changer le monde. Je suis un pays est une révolte rêvée noyée dans sa stérilité.

Que le texte soit parfois faible, ou simpliste, et que le spectacle s’étire bien trop (en 20 ans, Macaigne aurait pu resserrer, densifier) est indéniable… Un constat qui finit pourtant par s’évaporer devant la globalité d’un projet qui se moque de nos conventions sages et appelle à nos grandes colères et nos grands rêves éteints. Souvenez-vous de vous, semble crier Macaigne aux plus âgés lorsqu’il ne s’adresse pas aux jeunes dans la salle, dont il faudrait savoir ce qu’ils retiennent de ces spectacles visuels et pop…

Rick Panegy

PS : Au milieu de Je suis un pays, ne revenons pas plus longtemps sur l’étiré Voilà ce que jamais je ne te dirai,  performance un peu lassante au cœur du spectacle, en lien avec Ulrich Von Sidow, invité par Macaigne, où une vingtaine de spectateurs vêtus d’une combinaison blanche sont installés sur scène pour écouter la dernière partie du spectacle… Aller voir Je suis un pays suffit à être baigné de l’ensemble du projet.

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