[Danse – Critique] Les Grands / Fanny de Chaillé

[alert variation=”alert-info”] EN BREF : Fanny de Chaillé poursuit sa collaboration avec l’auteur Pierre Alferi, après Coloc en 2012 ou Répète en 2014. En remettant en perspective l’adulte de 40 ans à sa propre enfance et à son adolescence, Les Grands est sensé déconstruire les idéaux de l’enfance, les enjeux des espérances d’adolescence, ou déplier l’exercice du rétrospectif de l’âge adulte. A l’arrivée, un cumul de clichés, de lieux-communs, de quasi-démagogie et de leçon bien pensante adressée face public. Le tout dans un package d’une danse particulièrement dissimulée dans un texte mal écrit aux approximations malheureuses.  [/alert]

Trois adultes. Eux-même à l’adolescence. Eux-même à l’enfance. Les voila confrontés à leurs rêves et à leur idéaux. Bilan dansé (parait-il), à l’aube de la quarantaine, en se rencontrant soit-même.

Des enfants sur scène, quelques blagues rigolotes faciles sur leurs maladresses, et le public rie. Nous voici d’emblée dans la séduction facile… Public conquis aussi par ce miroir réducteur de leur enfance et de leur adolescence. Qu’on parle cour de récréation, de maîtresse, de papa et maman, de disputes avec les copains et on s’y replonge. A moins qu’on y voit ses propres rejetons. L’adolescence ? Qu’on parle découverte de la sexualité, désir de drogue, rejet des adultes et volonté de refaire le monde -si possible en le détruisant- et on s’y replonge. A moins qu’on y voit son insupportable ado pour qui tous les adultes sont des has-been… Vous imaginez, déjà, l’enveloppe insupportable d’un spectacle qui vous fait de gros clins d’œil appuyés sur la connivence que vous partagez, vous et lui…

En gros, les banalités s’accumulent, sur l’enfance, sur l’adolescence, sur le rapport de l’enfant à l’imaginaire, à ce qu’il se représente des adultes. Sur l’adolescence et ses découvertes et ses incompréhensions. Totalement trivial, déposant sur un piédestal les pires poncifs, Les Grands fait parler la jeunesse dans une langue sur-écrite par Alferi, qui fait dire aux jeunes danseurs (ils s’expriment en voix-off) une enfilade de phrases d’une platitude exemplaire, en tentant une projection -ratée- dans la jeunesse des années 2000. Ça n’a plus rien de sincère, c’est en total décalage et c’est vide. Un mélange suranné de l’innocence qu’on prête aux jeunes, version début des années 70 (ils ne sauraient pas qu’il y existe un frein sous la langue avant d’embrasser l’autre et ils auraient une méconnaissance total du corps) et du cliché Youporn qu’on leur prête aujourd’hui. Voila donc à l’arrivée des ados soit anachroniques, soit impossibles à situer. Les enfants ? Schématiques : la petite fille qui travaille bien, le garçon qui mime des bagarres, perdus dans ses histoires de batailles et de références aux dessins-animés version Club Dorothée. Ces trois danseurs comédiens, ces trois enfants, ces trois trois ados, sont en outre bien loin de représenter la société, tant dans sa diversité sexuelle que culturelle, ethnique que sociologique. Il n’y a sur scène, visiblement, qu’un schéma familial et culturel. C’est gênant dans le sens ou cela n’a pourtant pas empêché ni De Chaillé, ni Alferi defaire de Les Grands un cour d’Amphi qui généralise sur toute l’humanité le rapport de l’adulte à son enfance. Et voici donc qu’en deuxième partie, l’un des adultes danseurs vient faire un discours face public sur la nécessité ou l’incontournable négociation et compromis de l’adulte avec soi-même, de ses névroses et contradictions avec celles des autres… Un condensé de psychologisation lisse et sans relief -en tout cas dans l’écriture- qui donne à cette pièce de sacrés contours formatés et réducteurs.

La danse ? La mise en scène ? Fragmentée, éparse, diluée dans le flot de paroles, tantôt en voix-off, tantôt derrière un micro, statique, qui habille la pièce. Une longue mise en route avec chaque enfant faite de déplacements sur un décors sur-signifiants de collines en coupes, symbolisant lourdement les accumulations et les méandres de l’esprit humain à travers les âges (peu ou prou). L’arrivée des adultes n’apportera pas davantage : les déplacements sont à peine plus nombreux, ou développés. Ils font parfois échos à ceux des enfants… Un beau moment de chorégraphie, suspendu au milieu de ces truismes bavards : les deux adolescents, au milieu d’un trip probablement, après avoir évoqué les motivations qu’on donne à l’acte de se droguer, qui se meuvent, roulent et coulent, glissent et s’étendent sur les strates de la colline.

Il aurait fallu une grande étiquette à l’entrée de Les Grands, ou à la sortie , qui nous rassure. Quelque chose comme : « Si vous ne vous reconnaissez pas dans ce qui ressemble ici à une leçon de conformisme, ne vous inquiétez pas, vous n’êtes pas anormaux, même si on vous dit ici que la vie, c’est comme ça pour tout le monde. ». Ouf.

[icons icon=”info-circled” color=”#dd3333″ size=”16″] Crédits Photos / ©  Christophe Raynaud de Lage