Vu au Festival d'Avignon 2019
Quais de Seine est le second volet de la trilogie “Point de non retour”, dans laquelle, l’auteur et metteur en scène Alexandra Badea explore les questions d’identité, de mémoire, de confrontation avec l’Histoire collective. Les quais de Seine évoqués, ce sont ces quais qui, le 17 octobre 1961, ont vu des Algériens qui manifestaient se faire jeter dans la Seine. Une bavure, une meurtre collectif, un assassinat que l’histoire a presque passé sous silence… Le contexte de la Guerre d’Algérie est ici le point d’ancrage du récit mémoriel de Badea : elle y confronte son expérience personnelle, elle qui, d’origine Roumaine, a demandé la nationalité française en 2013 et a entendu dire des services de naturalisation “A partir d’aujourd’hui, vous devez assumer l’histoire de pays, avec ses moments de grandeur et ses zones d’ombre“. C’est donc ces zones, enfouies de la mémoire collective, ou brouillées, effacées du récit national, que l’artiste aborde et explore dans sa trilogie. Cet homicide, dans un contexte politique de crise, d’instabilité, a fait résonner les identités chancelantes : ceux qui sont nés Français en Algérie et ont aimé leur pays mais fils de colons et rejetés, ceux qui Algériens, sont tombés amoureux de Français… Tant de situations individuelles complexes que les politiques ont ravagé d’impossibilité : c’est cet entrée que Badea a choisi pour évoquer les mémoires embuées d’oublis.
Pour évoquer ses événements effacés, Badea a choisit le récit. Elle fait dialoguer plusieurs générations à travers des séquences de va et vient chronologiques, à l’aide d’une scénographie faite d’espaces distincts : des arrières scènes, qui s’éclairent derrière un voile, dévoilent des séquences du passé. Ces superpositions diachroniques impriment au récit des allures romanesques, presque cinématographiques, mais l’importance donnée à la narration, omniprésente, et au récit linéaire, avançant petit à petit vers l’issue, fait peser une lourdeur et une passivité à sa proposition. Le ton y est alors plaintif, parfois : de longs moments de témoignages, emprunts de colères et de tristesses légitimes, se succèdent sans qu’Alexandra Badea n’y propose de solutions, ou n’ouvre vers un ailleurs, vers un possible. Le regard n’est pas non plus pessimiste ou nihiliste, il est simplement absent.
C’est dans l’écriture donc, que ce Point de non retour, quais de scène, pèche, ne parvenant pas non plus à exacerber les émotions : il y a une volonté d’ancrer le récit dans un réalisme oral qui finit par enfermer le propos dans le simple témoignage. La mise en scène, par ailleurs, n’autorise au spectacle ni catharsis ni poésie. La dramaturgie reste faible…
Le propos est convenu , dans l’ère du temps d’une bienpensance complaisante et victimaire, qui revendique, lève le point, et réclame… Mais outre l’insuffisant aspect “devoir de mémoire”, le mérite de rappeler un épisode tragique de l’histoire, l’absence de positionnement, de proposition, de construction, d’ouverture vers un possible, voir un impossible, rend assez stérile la proposition…
Rick Panegy