[Spectacle] Le Musée de Bashar Murkus

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Par

Rick Panegy

“Le jeune homme et la mort”

Dans “La musée“, Bashar Murkus aborde, par le détour de la question du terrorisme, l’inexactitude de la binarité morale : le mal, qui ronge l’être et abîme les relations humaines, navigue en chacun. En 5 actes, sa pièce malmène le spectateur par l’exercice de dialogues âpres, quasi socratiques, et d’images violentes, sur fond de techno et d’opéra.

Déjà en 2014, Bashar Murkus avait ébranlé la scène théâtrale israélienne en montant “Le temps parralèle“, évoquant les prisonniers politiques palestiniens : l’état d’Israël avait alors coupé les subventions du théâtre Al-Midan, renforçant le questionnement de Bashar Murkus sur l’indépendance de l’art et de la création. Depuis, il a fondé sa compagnie, le “Kashabi Theatre“, à Haifa, et refuse toute subvention.

Dans “Le Musée“, le point de départ est aussi radical que tristement commun dans ce monde en proie aux instabilités les plus meurtrières : sans qu’il ne définisse le lieu et l’année, Bashar Murkus trace le récit d’un terroriste ayant assassiné une quarantaine de personnes, dont enfants et professeurs, dans un musée et qui, les jours précédents sa condamnation à mort, rencontre à sa propre demande le policier qui l’a arrêté, 7 ans plus tôt, après ce massacre. Le point de départ de la pièce est clair, défini a priori dans un récit de l’anecdote, mais la suite fera évoluer la réflexion au-delà de la simple évocation du drame par les deux protagonistes : par un jeu de questions/réponses, et par le principe d’une maïeutique vicieuse, chacun des deux personnages interrogeant l’autre sur ses intentions, son rapport à la morale, à la mort, à l’autre, au monde, Bashar Murkus fait basculer la pièce vers des enjeux métaphysiques et, en sourdine, politiques.

– Auscultons le mal – Toi-même cherches-tu à t’ausculter ?

S’il se réclame d’Hannah Arendt pour cette pièce, évoquant son concept de “banalité du mal“, il soulève également les prismes parfois hypocrites qui tendent à qualifier ici d’attentat un acte meurtrier, là de guerre le même acte avec plus de moyens, et balaye subtilement l’irruption des arguments moraux dans les retranchements de survie d certains.

Le mise en scène est commune, emprunte d’un théâtre moderne qui laisse la place forte au récit et à la performance des comédiens (excellents Henry Andrawes et Ramzi Maqdisi), soutenue par un dispositif vidéo et un sonore renforçant tantôt le sentiment d’oppression, tantôt celui de malaise : car “Le musée” pourrait être, finalement, sans qu’il s’en revendique, une allégorie d’un conflit israélo-palestinien qui boucle depuis des dizaines d’années, n’en finissant pas de faire des victimes et sidérant le monde sur l’insoutenable perpétuation d’un Mal qui s’est installé,n érigeant l’oppression malaisante en système.

Une douleur et un chaos permanent que chacun reproduit, quasi-naturellement désormais, habité par l’héritage, comme cette image des 2 protagonistes affublés d’une tête de mouton et dansant frénétiquement sur une techno abrutissante, accompagnés de projections d’un cerveau qui se putréfie : l’intelligence et l’humanité semblent avoir quitter l’Homme, lorsque le mal banal a pris toute la place. En permanence en tension, faisant souffler entre les deux hommes un vent d’Eros et Thanatos, “Le musée” sature d’images vidéos cette rencontre à huis-clos, montrant les regards, le sang, les blessures et les souffles : l’image, qui abreuve le monde, n’ignore plus les horreurs des actes meurtriers, qu’ils soient terroristes, guerriers ou l’exécution d’un condamné à mort ; Bashar Murkus épingle en même temps cette époque de communication à toutes les étapes, y compris celles qui sont identifiées comme les actes les plus mortifères.

Dans un final éloquent, à l’issue inéluctable et fatale, Maria Callas chante l’air Casta Diva (Norma, Bellini), dont les paroles ont rarement tant raisonner : “Chaste Déesse, toi qui baigne d’une lumière argentée (…) apaise ô Déesse, apaise la fureur ardente, apaise pour l’instant le zèle guerrier, répands sur la terre la paix que tu fais régner dans le Ciel“. Derrière cette haine inexplicable, qui gouverne autant les 2 deux protagonistes que toute la région dans laquelle vit le Metteur en scène, survit donc une prière d’amour, comme celui qui, inavoué, lie probablement les deux ennemis de cette pièce.

Vu au Festival d’Avignon 2021