En 2010, Andrew Lippa adaptait pour la première fois l’univers de Charles Addams en comédie musicale. Le spectacle, à Broadway, eut un succès d’estime critique (deux nomination aux Tony Awards notamment), avant de réaliser une tournée américaine puis d’être de nouveau produit récemment en Grande-Bretagne dans une version légèrement modifiée. Aidé par Marshall Brickman et Rick Elice, qui ont écrit le livret, Andrew Lippa a offert à La Famille Addams un spectacle fidèle à l’univers de l’artiste américain. Pour la première fois adapté en France, il débarque sur la petite scène du Palace où il est produit jusqu’en janvier 2018. C’est Ned Grujic qui en fait l’adaptation, la traduction et la mise en scène, plus fidèle à la version anglaise qu’américaine.
La célèbre étrange famille, de Gomez à Morticia en passant par Fétide, accueille à dîner la famille Beineke, famille traditionnelle de l’Amérique profonde, dont le fils Lucas compte épouser Mercredi, la fille lugubre de la famille Addams, transformée par l’amour… Les ressorts sont assez classiques mais efficaces, le contexte de la confrontation entre deux mondes opposés étant l’occasion d’offrir des scènes cocasses, des malentendus, et de tenir un discours convenu sur l’acceptation de la différence et l’éclatement de la définition de la normalité.
Sur le plateau, le manoir de la famille Addams tourne et s’ouvre au gré des scènes : la variété des décors est limitée mais l’espace est relativement bien utilisé bien qu’un déséquilibre cour et jardin soit à noter. Les costumes, comme les décors, sont toutefois de bonne qualité et participent de la crédibilité affichée par le show. Sur la scène du Palace cependant, le manoir est un peu à l’étroit…
Les premiers instants du spectacle font craindre le pire : l’ouverture est diffusée sur une sono peu généreuse, quand les musicals, dont celui-ci, sont joués par des orchestres live à Broadway, permettant un plus grand volume sonore et une ambiance d’emblée plus palpable. Cette impression restera hélas tout au long du spectacle… Heureusement, la générosité des comédiens, et la qualité du livrets et de la musique parviennent à relativiser cette absence de corps.
Ce qui pêche dans ce musical où l’on rit assez, grâce à l’impertinence assumée des situations et des dialogues, est triple : tout d’abord, la traduction de Ned Grujic... Elle laisse échapper des références clairement insolentes dans la version en anglais et qui tombent quelque peu à plat en Français, n’étant pas nécessairement réintroduites dans le contexte français. Les paroles des chansons, elles, par instants, sont aussi traduites de manières assez naïves. Ensuite, un choix de casting qui empêche l’excellence sur les parties chantées : le très bon Guillaume Bouchède, dans le rôle principal de Gomez, assure avec un talent indéniable les parties jouées mais est moins performant côté chants, là où pourtant ce personnage principal possède beaucoup de passages chantés. Bon point toutefois pour Charlotte Hervieux dans le rôle de Mercredi qui excelle sur les parties chantées et à Lucie Riedinger dans le rôle de Morticia, qui alterne séduction et classe bizzare avec délice. En outre, les comédiens qui interprètent la famille Beineke offrent quant à eux un peu trop d’excès et de caricatures et surfent pendant tout le spectacle dans un surjeu inutile. On regrette aussi que le choix astucieux d’une comédienne (Magali Guerée) pour jouer le rôle masculin du frère Pugsley dans la version française contraigne les capacités vocales pourtant notables de la chanteuse lors des chansons du personnage… Enfin, on regrette aussi par instant un manque de rythme dans l’enchaînement des scènes.
Bouder son plaisir serait toutefois dommage tant les scènes sont portées par une énergie et un savoir-faire appréciable : la narration par Fétide, joué par l’excellent Laurent Conoir, et les incursions en clin d’œil de Vincent Giliéron en majordome Lurch sont assez savoureuses ; le livret, presque simpliste dans son récit, est écrit sans temps morts et offre de sympathiques moments de quiproquos, d’anormalités politiquement incorrectes et de rires.
En somme, la qualité du spectacle, sans être formidable, est certaine ; elle reste simplement un peu ternie par l’adaptation française, le manque d’orchestre et les déséquilibres du casting. Mais la Famille Addams porte avec lui cette authenticité de Broadway, ce savoir-faire anglo-saxon des musicals, qui manque tant dans les “spectacles musicaux” français, qui, avec une honnêteté regrettable, n’osent pas s’appeler comédie musicale. La famille Addams est à voir comme une confiserie, qui aurait pu être plus sucrée mais que tout gourmand de musicals gobera avec un plaisir simple.
Rick Panegy