[alert variation=”alert-info”] EN BREF : En clôture du 70ème Festival d’Avignon, Rufus Wainwright a donné un concert tout en sensibilité, a fait monter Woodkid sur scène en special guest après avoir montré son opéra Prima Donna en version concert, et projeté le film de Francesco Vezzoli (avec Cindy Sherman) sur les murs de la Cour d’Honneur… Une soirée mi-figue mi-raisin… [/alert]
Après trois semaines d’un festival politique, social, où la noirceur et les inégalités du monde ont pesé sur une programmation orientée sur la prise de position, le spectacle de clôture de Rufus Wainwright a apporté chaleur et délicatesse, bien qu’il n’apporta pas une totale satisfaction du point de vue artistique…
C’est d’abord l’opéra Prima Donna qui fut donné en version concert, par l’orchestre régional Avignon-Provence, dirigé par Samuel Jean. Créé en français en 2009 par Rufus Wainwright, il s’est étoffé au fil des années, jusqu’à devenir protéiforme, tantôt joué avec une mise en scène, tantôt seulement accompagné, comme ce fut le cas ici, par la film de Francesco Vezzoli, spécialement retravaillé pour le Festival. L’opéra de Wainwright est court, à peine plus d’une heure, et s’inspire des compositions romantiques et des opéras tragiques : de Richard Strauss à Verdi, le Prima Donna de Wainwright est, plus qu’une création contemporaine, une déclaration d’amour au genre. Car il ne faut pas s’y tromper, la composition de Wainwright, bien que datant du 21ème siècle, s’ancre dans les codes des siècles passés… Bien fait, bien ficelé, le tout explorant toutes les facettes musicales romantico-tragiques… Le livret, lui-même, qui navigue du Sunset boulevard de Wilder à la Traviata de Verdi, reste convenu… L’écriture en français aurait peut-être dû être étoffée de tournures plus poétiques. Passons sur la médiocre qualité du son (dommage), l’orchestre régional Avignon-Centre (pas mauvais du tout) écrasant les voix des chanteurs, desquels on retiendra une Pauline Texier excellente, notamment dans la première scène. Lyne Fortin, incarnant le rôle principale de la diva désillusionnée par un retour raté, a excellé dans les aigus fortissimo mais, comme pour les deux autres chanteurs, peinait à être entendue pour les passages parlés… Quelques beaux arias cependant, du duo de la Prima Donna avec le journaliste (le ténor Antonio Figueroa) lors de leur rencontre dans les jardins au clair de lune, ou le solo de la diva, pour le final, sur les feux d’artifice…
On attendait beaucoup de la projection du film de Francesco Vezzoli, dans lequel la célèbre photographe Cindy Sherman incarne la Prima Donna de l’opéra. Au combien intéressant au regard du travail de l’artiste américaine, qui explore et travestit son corps et son visage : ici, incarnant l’essence même des divas, et les artifices qui composent leur personnage, elle met en regard sa propre œuvre avec celle, de la représentation, des cantatrices stars… Dans une scène exprimant la désillusion de la diva de l’opéra de Wainright, Régine Saint-Laurent (qui chante la fin de sa période solaire) Cindy Sherman, dans le film, se démaquille et défait tous les apparats du travestissement : comme un négatif symbolique de l’œuvre de la photographe. Le film de Vezzoli, lui, est très contemplatif, dans une esthétique très évanescente et rococo, de longs gros plans en travelling étirés… Ici ou là, des photographies de Maria Callas. Hélas, la projection sur le mur de la Cour ne rendait pas aussi bien qu’espéré : les gros plans, les couleurs, les mouvements altérés par les fenêtres, la texture, la couleur de la cour…
Si le Prima Donna de Wainwright reste un opéra modeste, il n’en reste pas moins un délicat et touchant témoignage de l’amour du chanteur pop à l’opéra romantique et aux divas, une déclaration sincère où le compositeur aura jeté tout son savoir faire.
En seconde partie, Wainwright gratifia les spectateurs d’un concert d’une heure au cours duquel il aura tour à tour chanté ses plus grands succès, de Cigarettes and chocolate milk au sublime Going to a town. Communiquant énormément avec le public, donnant à la cour des dimensions intimes, il interpréta plusieurs compositions de sa mère, Kate McGarrigle, notamment l’excellent titre De la jeunesse à la sagesse. Il repris le 3ème acte de son opéra Les feux d’artifice, en la dédiant aux victimes des attentats de Nice. Un moment particulièrement émouvant, qui fit résonner le titre d’une toute autre tonalité… L’invitation de Woodkid en guest star sur scène pour deux duos fut une surprise mais la délicatesse et la timidité du jeune auteur-compositeur-interprète se maria particulièrement bien avec la sensibilité de Rufus Wainwright et les chansons qu’ils interprétèrent, notamment une reprise réussie de Dis, quand reviendras-tu ? que l’artiste américano-canadien qualifia tout simplement de plus belle chanson au monde… Sous pression, puis excité comme un gamin, le jeune chanteur de The golden Age ou de Run boy run fut à la hauteur. Pour terminer, Rufus Wainwright offrit en rappel sa reprise d’ Hallelujah de Leonard Cohen, comme une réponse à la douleur que le Festival explora, une réponse entre amour et espoir désabusé…
Rick Panegy
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