/Retour en Avignon/ Du 6 au 24 juillet, la 72ème édition du Festival d’Avignon retrouve ses pénates. Du côté de la Cité des Papes, le directeur Olivier Py a cette fois orienté la fête du spectacle vivant vers la diversité, un Festival qui s’articule autour des “singularités”.
Ce sera la cinquième année qu’on retrouvera Olivier Py à la tête du Festival. Il y fait revenir bon nombre artistes déjà vus au cours des quatre précédentes éditions qu’il a dirigé : Thomas Jolly, qui ouvre le Festival dans la Cour d’Honneur avec Thyeste de Sénèque, Ali Chahrour, Madeleine Louarn, Didier Ruiz, Anne-Cécile Vandalem, Amir Reza Koohestani, Julien Gosselin ou Ivo Van Hove par exemple. Mais fidèle à son esprit de découverte à travers les arts et le monde, il laisse place à des artistes moins en lumière ou à des artistes dont ce sera la première fois au Festival : la Flamenca Rocio Molina, David Bobée, Phia Ménard, Oskaras Korsunovas, Jan Martens, Christophe Rauck, Gurshad Shaheman…
C’est aussi l’occasion de retrouver le chorégraphe Sasha Waltz, de voir les spectacles de Milo Rau, Richard Brunel ou Olivier Py lui-même…
Il n’y pas d’autres alternative que la culture et l’éducation.
Une fois de plus, le Festival sous Olivier Py ne se défait pas de sa nature politique. Il brandit la somme des singularités pour trouver dans le collectif un sens à l’action de l’art, autre que celui que les forces économiques mettent, selon Py, au cœur des préoccupations du monde. Ce 72ème Festival s’ouvre encore vers de nouveaux artistes et de nouvelles propositions : plus de 40 spectacles, plus d’une trentaine de créations.
L’art de la scène est une transcendance car il nous rappelle qu’il y a dans le collectif une somme de singularités qui peuvent changer le cours du temps.
Favoriser l’accès des jeunes au Festival reste une priorité pour Olivier Py : l’offre tarifaire favorable aux jeunes est plus que jamais présente, par des tarifs spécifiques pour les moins de 18 ans, par la Formule 4/40 (4 spectacles pour 40 euros pour les moins de 26 ans). Enfin, le Festival encourage aussi la découverte en masse des spectacles qu’il propose, en offrant un tarif préférentiel “Grand spectateur” au-delà de 5 spectacles choisis. Sans oublier l’accès gratuit à des événements Maison Jean Vilar, à l’exposition de l’Eglise des Célestins, au feuilleton théâtrale de David Bobée au Jardin Ceccano etc…
A ceux qui croient encore à l’avenir,(…) c’est l’art qui permet (…) d’atteindre à la fraîcheur de l’espoir.
La question est donc “Qu’aller voir au Festival d’Avignon ?” On vous donne sans détour les 15 spectacles à aller voir (parce qu’on a forcément raison) !
A l’heure du choix : 15 spectacles à voir
1/ “KREATUR”
- Danse
- Sasha Waltz
- Opéra Confluence
La chorégraphe allemande revient à Avignon où elle avait notamment présenté noBody dans la Cour d’Honneur en 2002 avec un spectacle où, encore une fois, on attend un univers chorégraphique où le corps est au cœur et où le plastique se mêle à l’esthétisme. En travaillant sur les contraintes subit par les corps, les élans de libération de celui-ci face à l’oppression, on espère une nouvelle fois une pièce mémorable !
2/ “SAISON SECHE”
- Danse, Théâtre, performance
- Phia Ménard
- L’autre scène du Grand Avignon – Vedène
Dans un festival dédié au genre, il tait inévitable que Phia Ménard, anciennement Philippe, ne puisse pas être aux premiers rangs des artistes conviés Celle qui a d’abord travaillé sur son propre parcours, de sa mutation à ses combats intimes (les superbes Vortex, PPP…) s’attache désormais davantage aux oppressions d’un genre qui serait normé, à la question de la femme. Ses spectacles, entre performance et créations plastiques saisissantes, sont toujours un choc visuel et par-delà celui-ci un outil et un levier de réflexion social et identitaire. Cette fois-ci, sept femmes questionnent le patriarcat.
3/ “DE DINGEN DIE VOORBIJGAAN “
- Théâtre
- Ivo Van Hove
- Cour du Lycée Saint-Joseph
Déjà présent à Avignon en 2008 pour les Tragédies Romaines, en 2014 pour The Fountainhead ou en 2016 dans la Cour d’Honneur avec la Comédie Française pour Les Damnés, le prolifique metteur en scène belge, qui touche à toutes les formes, est un des metteurs actuels dont les propositions ne sont pas loin d’être des valeurs sûres en terme de scénographie, d’écriture, de directeur d’acteur, de mise en scène et création visuelle spectaculaire. A n’en pas douter, ce spectacle autour d’un deuil et des drames familiaux qu’il révèle sera l’une des pièces où le public se bousculera.
4/ “LA REPRISE – Histoire(s) du théâtre (I)”
- Théâtre
- Milo Rau
- Gymnase du Lycée Aubanel
Autre metteur en scène incontournable actuel, et peut-être même davantage qu’Ivo Van Hove à nos yeux : Milo Rau, dont les propositions scéniques sont un ensemble souvent mêlés d’un maîtrise visuelle et d’une qualité d’écriture fascinante, où le réel ou le fait divers est le matériaux d’une réflexion permanente sur la capacité de la représentation à la porosité avec le monde réel. Autour d’un meurtre d’un homosexuel en 2012 en Belgique, Milo Rau ne devrai pas, comme à son habitude, contourner les questionnements dérangeants et les positions qui confrontent le public à son inconfort.
5/ “ROMANCES INCIERTOS, UN AUTRE ORLANDO”
- Danse – Musique
- François Chaignaud / Nino Laisné
- Cloîtres des Célestins
Avec François Chaignaud, les spectacles sont plus que de la danse… La promesse ici, d’histoire, de culture hispanique ou gitane, de musique (avec la collaboration de Nino Laisné, qui sera aussi à la mise en scène) et d’évocation d’identités aux genres troubles ou troublées à travers le geste et la musique live intriguent et attirent.
6/ “MAY HE RISE AND SMELL THE FRAGRANCE”
- Danse
- Ali Chahrour
- Théâtre Benoît-XII
Le chorégraphe libanais, découvert à Avignon en 2016 avec les sensibles et délicats Leila se Meurt et Fatmeh, revient pour clôturer sa trilogie sur le deuil, où les rituels funéraires arabes ici se feront échos aux pressions de la communauté sur le genre de celui qui éprouve le deuil… Nous sommes impatients de découvrir ce troisième volet, tant les deux premiers avaient été des instants de grâce et d’émotion.
7/ “ANTIGONE”
- Théâtre
- Olivier Py – Enzo Verdet
- La Scierie
Depuis plus de 10 ans, le Festival d’Avignon travaille en partenariat avec le Centre pénitentiaire Le Pontet et, depuis 2014, un atelier est créé où les détenus peuvent travailler avec Olivier Py afin de monter une pièce qu’ils peuvent ensuite montrer hors les murs de la prison. Après Prométhée ou Hamlet, c’est Antigone que monte Olivier Py avec les prisonniers, où la question du combat pour le droit à des funérailles malgré l’erreur aura sans doute une résonance particulière eu égard au destin même des comédiens, pour lesquels la rédemption et le droit à la réinsertion est au cœur des préoccupations
8/ “JOUEURS, MAO II, LES NOMS””
- Théâtre
- Julien Gosselin
- La Fabrica
Déjà présent à Avignon avec Les Particules élémentaires ou 2666, Julien Gosselin, décidément friand des adaptations d’œuvres littéraires et de spectacles au long cours, promet cette fois 8 heures de spectacles autour des œuvres de Don DeLillo: retravaillant toujours les textes, créant des arches et des puzzles de ses oeuvres adaptées, Julien Gosselin proposera encore un spectacle fortement visuel et cinématographique.
9/ “MAMA”
- Théâtre
- Ahmed El Attar
- Gymnase du Lycée Aubanel
Le metteur en scène égyptien est aussi un auteur hors paire, qui dessine souvent dans ses propositions les travers d’une société arabe égyptienne, à l’instar de The Last Supper déjà présenté à Avignon en 2015. Cette fois-ci, il nous promet de faire éclater les représentations de l’idéal maternel. Toujours grinçant et pinçant, ses pièces, bavardes, dénoncent avec, parfois, autant d’humour que de gravité.
10/ “THYESTE”
- Théâtre
- Thomas Jolly
- Cour d’honneur du Palais des Papes
Son spectacle fleuve, Henry VI, avait enthousiasmé l’édition 2014 du Festival. De nouveau à Avignon pour le feuilleton du Jardin Ceccano en 2016, avec Le Ciel La nuit et la Pierre Glorieuse pour revenir sur les 70 ans du Festival, où il avait aussi présenté Le Radeau de la Méduse avec les étudiants du TNS, il est cette fois-ci programmé au Festival dans la Cour d’Honneur, où il adapte Thyeste de Séneque avec sa troupe La Piccola Familia. Adepte des pièces spectaculaires, aussi visuelles que festives ou généreuses, il aura probablement à cœur de rendre cette tragédie radicale et violente aussi réaliste que métaphorique. Dans la cours d’Honneur, on espère que la démesure du cadre inspirera l’esprit toujours pléthorique de Jolly
11/ “MESDAMES, MESSIEURS ET LE RESTE DU MONDE”
- Théâtre
- David Bobée
- Jardin Ceccano
Le Directeur du CDN-Normandie Rouen débarque à Avignon pour le feuilleton quotidien du Jardin Ceccano où il abordera des thèmes qui lui sont chers : engagé dans toutes les luttes qui ont traits aux discriminations (auprès de Kiril Serebrennikov, ou en créant le collectif Décoloniser les Arts, par exemple…) il aborde ici, en compagnie d’une pléiade d’artistes (Bétrice Dalle, Virginie Despentes, Rokhaya Diallo, Phia Ménard, Vincent Guillot…) toutes les questions relatives au genre, à ce concept au cœur de toutes les assignations, les assertions et les discriminations ou les idées reçues. Sur les textes de Ronan Chéreau, avec qui il entretient un lien de fidélité au long cours, le metteur en scène, qui n’a ni la langue dans sa poche ni l’habitude de caresser dans le sens du poil les conservatismes nous fait espérer de l’engagement au cœur du Festival !
12/ “36 AVENUE GEORGES MANDEL” et/ou “CANZONE PER ORNELLA”
- Danse
- Raimund Hoghe
- Cloître des Célestins
Raimund Hoghe ou la grâce par delà l’infirmité. Présent deux fois à Avignon, pour un solo (reprise) hommage à Maria Callas et pour un portrait dansé avec Ornella Balestra (danseuse de Béjart), le performer et chorégraphe allemand, ex-dramaturge de Pina Bausch, propose des spectacles où la sensibilité côtoie l’élégance.
13/ “ARCTIQUE”
- Théâtre
- Anne-Cécile Vandalem
- La Fabrica
En 2016, elle présentait Tristesses, cette fois-ci Anne-Cécile Vandalem fait débarquer son intrigue au milieu d’un autre espace déserté : son Arctique sera encore l’écrin d’un théâtre très écrit, très narratif, où derrière le récit se dévoilent les résonances sur les dérives de notre société actuelle (politiques, sociologiques, idéologiques…) Toujours animées d’un contour cinématographique, les propositions de la metteuse en scène sont noires et sombres mais souvent teintées d’humour.
14/ “GRITO PELAO”
- Danse
- Rocio Molina
- Cour du Lycée Saint-Jospeh
La scène Flamenca sera encore à Avignon cette année, dans un tout autre genre que La Fiesta d’Israel Galvan en 2017. Autour des questions de la maternité, des rapports fille/mère, la danseuse espagnole promet un spectacle sensible et musical où la danse révélera les questions intimes des désirs de maternité : sa propre mère sur le plateau, on attend leur rencontre avec une bienveillance certaine !
15/ “STORY WATER “
- Danse
- Emanuel Gat et Ensemble Modern
- Cour d’honneur du Palais des Papes
Dans la cour d’Honneur, la danse d’Emanuel Gat sera l’occasion d’observer le corps et le mouvement dans leur propre essence : sur des musiques de Pierre Boulez, de Rebecca Saunders ou de l’Ensemble Modern, les gestes et les mouvements des danseurs, se complétant et évoluant au gré des tentatives, devraient habiter l’immense espace de la Cour d’Honneur autrement que par le grand spectacle. Si le proposition sera peut-être aussi dépouillée que certaines de ses précédentes (Variations d’Hiver, Sunny…), elle n’en sera pas moins l’occasion d’admirer, comme toujours, l’équilibre entre le collectif et l’individualité du corps dans le groupe.
16/ Et le reste ?
A découvrir ou à éviter…
On vous conseille d’aller faire un détour par Vedène du côté de “L’autre scène du Grand Avignon” pour voir Le Grand théâtre d’Oklahama de Madeleine Louarn, travaillant avec ses artistes handicapés de la troupe Catalyse autour de textes de Kafka. Déjà dans Ludwig ou dans Tohu-Bohu, l’originalité d’un travail avec des artistes handicapés offraient une réelle proposition qui dépassait la simple curiosité.
Olivier Py n’adaptera pas seulement Antigone à La Scierie, il y proposera aussi Pur Présent,un retour sur son travail autour des pièces d’Eschyle. Toujours en compagnie de son scénographe Pierre-André Weitz, son Pur Présent est sûrement à voir dans le sens où Py n’est jamais aussi bon que lorsqu’il travaille les textes antiques et lorsqu’il se défait au maximum d’un lyrisme de mise en scène pour aller au plus prêt des mots
On est un peu sceptique sur le Summerless d’Amir Reza Koohestani, dont le théâtre politico-documentaire est à cheval entre passion, émotion et réflexion… il avait déjà présenté Hearing en 2016. Il vous faudra en plus aller jusqu’à Villeneuve-lez-Avignon. Là-bas, vous pourrez aussi y voir Et pourquoi moi je dois parler comme toi?, une collaboration entre Anouk Grinberg et Nicolas Repas où la voix de l’une et la musique de l’autre mettent en lumière les mots d’auteurs méconnus “hors-norme”… Pourquoi pas…
Si vous vous trouvez sur le lieu de passage du spectacle itinérant de Didier Galas, pourquoi ne pas aller voir Ahmed Revient, où il met en scène l’auteur Alain Badiou, qui revient ici sur le racisme avec une farce philosophique… Du Badiou, ça ne fait jamais de mal.
On vous conseille toujours l’expo à l’Eglise des Célestins, dans un cadre qui modifie toujours le rapport à l’œuvre. Cette année, Claire Tabouret -l’affiche du 72è festival est extraite de son tableau “La grande Camisole”- s’empare des salles de l’église pour y exposer son travail ! A voir également une autre partie de son travail à la Collection Lambert. Un travail assurément étrange où éclosent les identités, les individualités, la fluidité des êtres.
Pour ceux qui aime les textes classiques, il y a du Racine du côté du Cloître des Carmes : C’est Chloé Dalbert qui s’amusera des mots du dramaturge du 17è. On est peu motivés… Si vous préférez les mots de Lagarce, filez du côté du Théâtre Benoit XII en fin de Festival pour voir Le Pays Lointain, mis en scène par Christophe Rauck, ça s’annonce forcément déchirant et pas joyeux. MAis qui donne tout de même envie… Plus sobre, le texte de Julie Otsuka sur l’immigration de femmes japonaises au début du 20è siècle est adapté par Richard Brunel au Cloître des Carmes. On hésite.
A la Chapelle des Pénitents Blancs, où se joue désormais traditionnellement des pièces “jeunes publics”, on intéresse de près à Léonie et Noélie de Karelle Prugnaud, sur un texte de Nathalie Papin où les questions de pulsions et de l’ambiguïté de l’enfance et la gémellité sont traités.
Reposez-vous un peu autour du 15 juillet pour profiter le lendemain d’une nuit dépassant sans aucun doute les frontières de la raison au Délirium où Jérôme Marin alias Monsieur K invite à une nuit sans retour, au cours de laquelle travestis de Madame Arthur et invités ont conçu un show spécial Avignon. Forcément incontournable.
On vous conseille, toujours, d’essayer de voir quelques Sujets à vif, en partenariat avec la SACD, dans les jardins de la Vierge du Lycée Saint-Joseph, toujours source de surprise… Pour le meilleur ou pour le pire, c’est le risque. On vous conseille la proposition de Thierry Balasse et de Pierre Mifsud, qui donne plutôt envie, ou celle de Caritia Abell et de Vanasay Khamphommala.
On ne pourra personnellement pas franchement conseiller les propositions dans le Gymnase du lycée Mistral : Pale Blue Dot d’Etienne Gaudillère, dont la première mise en scène s’intéressera aux Wikileaks et à Julian Assange parce qu’on ne connait pas du tout.. Mais peut-être sera-ce une bonne surprise… La bonne surprise pourrait venir de Didier Ruiz et de son Trans (Mes Enlla), au même endroit, dont le travail autour des minorité peu visibles est toujours pointu : ici son travail autour du genre et de l’identité avec des femmes et des hommes rencontrés à Barcelone pourrait se révéler d’une belle sincérité.
Avignon, c’est aussi une multitude d’autres propositions (musiques sacrées, sélection cinématographique, rediffusion d’anciens spectacles dans la Nef des images, débats publics, rencontres avec les artistes…) : Allez voir sur le site du Festival.
Bon Festival !
Ouverture de la billetterie le samedi 9 juin au cloître Saint-Louis à Avignon (10000 places) puis par internet et téléphone le lundi 11 juin.
Rick Panegy