Vu au Festival d'Avignon 2019
En forme de triptyque, où s’exprime la danse, la littérature, la poésie ou la musique, Multiple(s) fait graviter autour de la figure de Selia Sanou, pierre angulaire de l’œuvre, tout ce qui peut rassembler l’être dans sa diversité. La multiplicité en forme de lien possible entre chacun, de ses racines à ses douleurs, de ses idéaux à ses destinées. L’ensemble est très inégal, en apparence parfois abscons, flou ou peu lisible, mais par instant, offre quelques beaux beaux moments de complicité ou de poésie. Peut-être insuffisant pour donner corps à la figure d’un cycle de communion, avec soi-même ou avec l’autre, à l’instar de la scénographie sobre et cyclique, emprunte d’un fort symbolisme.
Dans la première partie, “de beaucoup de vous” l’immense Germaine Acogny donne la réplique, par le mouvement et les mots, avec la bienveillance de l’ainée, au danseur chorégraphe (passé par la compagnie de Mathilde Monnier il y a quelques années ). Il y a la grâce et l’émotion de la rencontre entre la force de l’un et la fragilité de l’autre, comme une transmission : l’Afrique (Salia Sanou est Burkinabé et Germaine Acogny est Sénégalaise) au cœur des ébats, et la porosité des identités, des cultures, des substrats et des transferts dans les cultures occidentales… Un peu fragiles, les séquences se révèlent tendres mais semblent trop en surface par rapport à ce qu’elles portent d’histoire. Sur le plateau quasi vide, où ne se meuvent que les danseurs et deux rampes de néons, place est faite à l’intime. La mémoire de l’une déclenchant la conscience de l’autre : ensemble ils interrogent la mémoire de nos corps sans pourtant réussir totalement à nous emporter dans notre propre confrontation à ces questions.
La seconde partie, “de vous à moi“, au cour de laquelle Nancy Huston lit des extraits de ses textes et instaure un dialogue mots/gestes avec Salia Sanou est bien plus artificielle. S’ils abordent ensemble les notions d’exil et la connivence des êtres déracinés et enracinés entre deux espaces, deux cultures, ils n’excluent pas le reste du monde et ne se complaisent pas dans un discours victimaire de déchirement, mais en évoque davantage la richesse d’une multiplicité de soi. Hélas, l’intime est ici moins chargé encore, moins partagé ; le texte est trop présent, rendant plus hermétique encore cette seconde partie, qui manque de cette poésie atteinte lors de la première partie.
Enfin, ” Et vous serez-là“, dernière partie, est la rencontre avec Babx (David Babin) : la musique du musicien-compositeur donne corps aux textes de Césaire et de Miron, récités par le pianiste. Babin, qui a composé également la musique des deux premières parties, alterne ici l’humour et la mélancolie, la légèreté et la douleur à travers une composition où l’émotion provoquée par les notes rejoint celle imposée par les mots de Césaire et de Miron. A côté de lui, dans un final cathartique, Sanou, de son corps transpirant et épuisé, fuyant et se démenant, exprime l’incapable apaisement des hommes, que vient, avec tendresse, et par la simplicité d’un geste final, calmer le pianiste, comme une réconciliation humaniste de deux cultures.
Instants multiple(s) donc, histoires multiple(s), chargés de connivences et d’intimes, que la scénographie minimaliste de Matthieu Lorry-Dupuy amplifie, dessinant le monde cyclique et imperturbable, sur lequel chacun doit poursuivre son chemin, seul et avec l’autre, et offrant, de ses fenêtres de néons, une ouverture sur des possibles. La proposition de Sanou reste en surface de son propos et ne plonge pas assez dans l’intime de l’auteur, ou alors, n’ouvre pas assez à l’universalité des intimes de tous…

(c) Raynaud de Lage
Rick Panegy