[alert variation=”alert-info”]/ EN BREF / Après Révolution, Olivier Dubois offre un spectacle radical, violent et humaniste. Conçu comme un diptyque hypnotique, le spectacle est une expérience physique et sensorielle, au cœur des rapports humains. [/alert]
Les verticalités de Révolution ont laissé place à des horizontalités toutes aussi hypnotiques. Les quatorze danseuses du spectacle de 2009, tournant à en perdre la tête et en faire éclater tous repères, ont pour écho, dans ce dernier volet du triptyque d‘Olivier Dubois, les corps nus de dix-nuit interprètes tour à tour fantomatiques, robotiques, mécaniques et impersonnels, puis déchainés, enfin incarnés de toute une humanité sauvage et primaire, exprimant in fine une individualité viscérale, inévitable et vitale.
L’animalité de Dubois, qui s’exprimait dans Rouge (2011), le second volet de son triptyque, explose dans Tragédie, présenté à Avignon en 2012, dans le cadre du festival. Cette fois-ci habillée de toute l’exactitude quasi-mathématique du chorégraphe, elle revêt un aspect autrement plus métaphysique quand elle n’était que cri dans le solo que constituait Rouge. Ce Tragédie hypnotise (45 minutes d’allers et retours frontaux, constitués inlassablement de douze pas réguliers, comme des “doubles-croches” aliénantes, qui assujettissent l’individu) ; elle finit même par agacer, par faire bouillonner dans la poitrine du spectateur une oppression inconsciente, qui réclame brutalement une libération. Cette explosion, radicale, rompt les chaines des danseurs, qui s’affranchissent des contraintes rectilignes, en “se cassant” dans un premier temps, de manière saccadée, ou en pauses successives, pour enfin adopter des courbes et des variations curvilignes, jusqu’à, enfin, proposer des éclats de personnalités hors cadre, se projetant, sautant, frappant le sol, se roulant les uns sur les autres. La symbolique n’est guère loin : l’interminable coda corporelle du “ballet”, toute en frénésie, telle une catalepsie salvatrice (des stroboscopes rageurs sur la musique de François Caffenne, de plus en plus extatique, en guise d’acmé humaniste) évoque sans conteste la nécessité absolue de l’expression de l’individu, noyé dans une masse conforme malgré ses évidentes différences, habillé d’oripeaux sociaux cloisonnant et aveuglant.
Radicale, la pièce d’Olivier Dubois fascine autant qu’elle perturbe : cyclique, presque froide, binaire et quasi-clinique, les longues premières minutes laissent deviner une inexorable commotion, que l’on attend comme une délivrance. Celle-ci se vit comme une violence (des chocs de corps, des lumières éblouissantes) à l’image de la tragédie humaine : la liberté se gagne au prix fort, s’arracher d’un carcan se fait presque physiquement.
Le travail d’Olivier Dubois, exigeant et audacieux, tant pour les danseurs que pour le spectateur, évoque Maguy Marin (aux propres dires de Dubois lui-même), Lia Rodrigues, les pas extatiques de Pina Bausch ne sont pas loin non plus. Nul doute que Tragédie restera dans l’histoire de la danse comme une chorégraphie repère, un élément monument du sixième art, tant la chorégraphie impressionne, ambitieuse, tant la performance s’avère grandiose, et tant, dans un moment mêlé de plénitudes et d’inconforts, le spectateur explore, malmené et guidé, une variation d’émotions extrêmes.
Rick Panegy
crédits photos : François Stemmer