Spectacle / Oreste, Electre – Ivo Van Hove – Comédie Française

Vu à la Comédie Française en mai 2019

En adaptant avec fureur et surexplications appuyées Oreste  et Electre d’Euripide, Ivo Van Hove décline avec la Comédie Française son système esthetico-pop. La tragédie grecque devient ici une virée dégoulinante d’effets, tantôt risible, tantôt gênant.

Chez Euripide, la tragédie se fait âpre et radicale, violente et sans fard. Directe. Dans l’adaptation de Van Hove (seconde collaboration du metteur en scène néerlandais avec la Comédie Française après le très discutable Les Damnés en 2017), c’est tout pareil, sauf que s’y ajoutent une esbroufe un peu dégoulinante, cette sorte de certitude agaçante de la perfection, et la conviction que l’excès ce serait un peu comme le luxe : beau et too much, ouai mais ça claque. On laisse les deux heures (pile poil 1h pour Oreste et Electre, parité j’entends ton nom) s’égrainer avec une certaine impatience sceptique, navigant entre les hurlements et les gesticulations, esquivant les éclats de boue, et de sang, affrontant le cloaque et les manipulations archi-surlignées par la traduction de Marie Delcourt Curvers, qui reste toutefois fidèle au texte mais en simplifie (habilement certes) l’accès.

La vengeance d’Oreste et d’Electre s’exprime ici avec une certaine inélégance esthétique, gageure atteinte haut la main par Van Hove depuis pas mal de spectacles. Il faut dire qu’on se demande encore comment celui qui nous éblouit naguère parvient à enchainer autant de productions ces dernières années, accumulant un nombre de mises en scène déraisonnablement étonnant -ou questionnant- pour permettre un travail de qualité ou honnête. Un spectacle se monte en combien de temps? Ivo ou l’ubiquité ? A-t-il un quelconque pouvoir sur le temps, notre Doctor Who des planches?

L’inélégance esthétique donc, celle qui offre au spectateur étonné un chœur survolté, transformé en horde de Walking Dead dansants, en guenilles grises et poussiéreuses tout droit sorties des spectres de MayB, patibulairement grognante, maladroite dans des chorégraphies inutiles de Wim Vandekeybus (qu’on adore pourtant), dont on se demande encore quelle mouche l’a piqué à participer à une telle mascarade hautaine. Ou cette inélégance esthétique qui consiste encore à placer, à cour et à jardin, un quatuor de percussions (des bons) pour accompagner la tragique descente aux enfers des deux frangins : ça claque, ça fait moderne, ça fait tragique (parce qu’à chaque moment grave, vous comprenez, on joue un petit roulement de percu sourd et inquiètant). Les (bons) musiciens doivent se cantonner à une simili-ritournelle d’un Woodkid léthargique sur le retour, que quelques sursauts bruyants pathétiques, par deux fois, viennent rompre, accompagnés de laides poursuites oranges sur un Corbery ou un Montenez hurlant en front de scène un tonitruant “ZEUS”. On les confondrait presque avec le Ash d‘Army of Darkness… Cette inélégance esthétique encore, qui recouvre chacun d’un sang sans cesse plus présent, jusqu’à offrir un étonnant remake “atridien” de Carrie au Bal du Diable. (après tout on n’en est pas loin, elle aussi à des soucis avec sa mère). Le sang, comme marque signifiante que vraiment  on s’enfonce dans la tragédie de plus en plus : plus ca va mal, plus les comediens en sont recouverts.

Ça crache, et ça émascule même, et ça brandit le sexe ensanglanté et ça le mange puis ça le jette, c’est de bon ton en ce moment. L’Electre proud and fierce en finit avec ce patriarcat macho. Soit. Dans ce tournis de déraison scénique, les comédiens s’en sortent plus ou moins bien : Loic Corbery et Elsa Lepoivre nous rassurent mais Christophe Montenez, qui est pourtant bon, semble parfois poussé à faire beaucoup trop, alourdi par le poids et la responsabilité du tragique qui repose sur son personnage. On le sauve toutefois. Mais on reste encore lassé par le grotesque digne de Didier Sandre, le semblant de fragilité assurée de Denis Podalydes et la colère agressivo-WeshWesh de Suliane Brahim, qui se démène toutefois sacrément pour tenir la baraque devla première partie, Electre, au milieu d’un chœur apathique et mollasson.

Que dire de l’apparition soudaine et finale d’Apollon, comme un pied de nez bouffon qui donnerait à la tragédie qui a précédé des allures de bonne grosse blague ? Un Dieu qui surgit de l’orchestre et saute sur la scène, en courte petite tunique translucide “or” (oui c’edt un Dieu quand même, on rigole pas avec le code couleur), un Gaël Kamilindi, nu en dessous, fesses galbées et peau dorée… Un surgissement surprenant qui précipite la fin du spectacle comme le dernier tourbillon d’un vortex de lavabo… Déroutant.

Il y a dans cette tragédie une décevante absence de tragique, une terrible absence de fragilité du monde, et d’inéluctabilité. Dans ce combo Electre/Oreste, la beauté de la laideur nous éloigne hélas de la lumière de nos ténèbres, de nos mystères, de nos tourments, celle qui guide et élève au delà des rages et des passions. Le seule mystère, au final, restera peut-être suggéré par cette maison, en forme de grand cube sombre, au centre de la pièce, comme une Kaaba symbolique, celle exhortant la fin de l’admiration des idoles, comme il faudrait ici en être fini d’admirer ses rois ou ses mères. Une maison mystérieuse, qui fonctionne comme un sas : on y rentre mais n’en sort pas, où alors, l’âme plus tout à fait indemne. Voilà comme la tragédie raisonne, dans ce Van Hove : tout se dénoue dedans, le dehors est lieu où le drame est représenté, montré, construit et c’est à cela qu’on assiste, seulement, comme si l’important ici, était de voir et d’entendre, au dépend d’une confrontation au trouble du tragique, impérieuse et nécessaire.

Rick Panegy

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1 / 5electre_oreste_r Electre / Oreste (Ivo van Hove 2019) electre-oreste-photo-jan-verweyveld 32d862dd9c6a4131ac3b323cc38faf44-jumbo