[Spectacle] Lamenta de Rosalba Torres Guerrero et Koen Augustijnen

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par

Rick Panegy

Du cœur du Péloponèse, Torres Guerrero et Augustijnen ont exploré les danses traditionnelles, les miroloi, qui célèbrent et transcendent, dans les communautés locales, par la musique et le geste collectif, le départ, la mort ou l’absence. “Lamenta“, dans un élan cathartique, efface le deuil et porte la communion.

Le plateau est nu. Parti pris esthétique et pari de l’épure : rien ne vient ainsi parasiter et perturber la communion qui s’opère sous les yeux des spectateurs. 1h10 durant, c’est à une rencontre intime avec l’expression d’un rituel qu’est invité le public. Les neuf danseurs, en tenues traditionnelles sobres, blanches et noires, habitent l’espace dans une cohésion au départ éplorée, faisant écho à la douleur du départ d’un des leurs, comme les traditions ancestrales de cette région de l’Epire et du Péloponèse l’exigent. Les corps se mêlent, s’imitent, semblent lutter contre la peine provoquée par l’absence d’un membre de la communauté. Les lumières, à cour et à jardin, font naître sur la scène une ambiance feutrée et réservée, quasi pudique. Mais en se rapprochant, puis en se fondant dans une identité collective, le groupe dépasse la blessure de l’individu. Peu à peu, chacun des corps se détache, chaque danseur s’exprime, parfois dans des solos d’une rare intensité : de longues transes, des danses exaltées, presque expiatoires, se succèdent sur les musiques traditionnelles revisitées par Xantoula Dakovanou, dont la création musicale et sonore mêle subtilement la tradition à la modernité. Les visages et les regards, alors, s’apaisent, se remplissent d’une joie et d’une énergie nouvelle, au fur et à mesure que les corps se libèrent ; et la douleur, la peine, transcendées, se transforment en élan, en partage, comme pour honorer en même temps le départ d’un membre et célébrer l’unité de ceux qui restent. La scène est désormais aussi lumineuse que les sourires. Les corps, qui se frappaient la poitrine, les pieds, et qui cognaient le sol dans une allure lente quasi funéraire au début de spectacle, sont désormais libres et ouverts, comme la liesse semble à présent inarrêtable.

Célébrons son absence : miroloi ! miroloi !

Avec humilité et maitrise, Rosalba Torres Guerrero et Koen Augustijnen se sont saisi de rites et d’une culture qui ne leur appartiennent pas : leur regard sur ces danses ancestrales et ces pratiques d’un autre endroit est empli d’une bienveillance remarquable. Leur travail précédent déjà, autour du Dabkeh, explorait aussi les danses rituelles d’une autre partie du monde (ils avaient travaillé en Palestine à l’invitation des Ballets C de la B). Ce “Lamenta“, propre, appliqué et net, fascine tout autant qu’il frustre, peut-être : il lui manque, probablement -et paradoxalement- un peu d’émotion et de sentiment, de laisser-aller, pour que le spectateur partage tout autant la douleur et la rédemption cathartique que ce spectacle, pourtant réussi, livre avec une générosité et une honnêteté exemplaires.

Vu au Festival d’Avignon – Juillet 2021