[Festival d’Avignon 14 – Critique] Orlando ou l’impatience d’Olivier Py

C’est un voyage au cœur de l’émotion et du rire que propose Orlando et l’impatience. Un spectacle riche, fourmillant d’idées, de discours, d’aveux et d’engagement. Une œuvre où se côtoient un regard exigeant sur le théâtre, une plaidoirie politique engagée autour du parcours personnel d’un jeune homme en quête. Dense, parfois bavard et emphatique, le spectacle n’en est pas moins un régal de mise en scène et de poésie !

[blockquote right=”pull-right” cite=”Orlando ou l’Impatience – Olivier Py”]Nous sommes nés pour nommer notre manque. Pour que le manque ne manque pas, pour qu’il devienne un trésor d’absence où la parole vit.[/blockquote]

C’est par ces mots incitatifs et habités d’espérance que se termine Orlando ou l’impatience, la création d’Olivier Py pour le Festival d’Avignon 2014, chargée de poésie, emprunte d’un lyrisme enflammé, gonflée d’un élan de rage et de désespoir, guidée par la quête. La quête de soi en somme. Celle d’un manque appelé impatience. Le jeune Orlando recherche son père, et, en substance, il part à la rencontre de ce qui le définira. En chemin, sa vie se bouscule et se presse, heurtée par la mort, bouleversée par la paternité, guidée par la liberté, empêchée par les contraintes (ses névroses cachées), éclairée par l’amour et déterminée par les rencontres. Celles notamment avec un ministre de la culture coquin et libidineux, pervers et manipulateur, sorte de Mephisto. Derrière ce personnage, on devine la satire  : une moquerie à destination de Frédéric Mitterrand, avec qui Py a entretenu des rapports conflictuels lorsqu’il était directeur de l’Odéon. Celles avec sa mère, personnage évaporé, diva allégorique.

La narration est habile : une boucle, comme une succession de rencontres avec des pères possibles, mêlée de croisements temporels où les réalités naissent des possibles, comme si la vérité se construisait peu à peu, s’appuyant sur les échecs des essais qui précèdent, jusqu’à parvenir à la certitude finale : celle où Orlando, des années plus tard, se rencontre soi-même.

Le texte, sublimement poétique, guide la pièce dans ces contours où l’émotion est rémanente et jaillissante, toujours glorieuse. Elle est sublimée par le travail formidable de Pierre-André Weitz (fidèle d’Olivier Py depuis de nombreux spectacles) à la scénographie, aux costumes et maquillage : des modules de bois peints coulissent en permanence, offrant aux spectateurs, tantôt une piste de cirque, tantôt une loge d’artiste, une rue et un immeuble, un bureau de ministre, une chambre ou encore un théâtre. Des néons en “toile d’araignée” en fond de scène (et sous le plateau) accompagnent Orlando dans sa quête. Il n’y a qu’un pas avec la symbolique psychanalytique : ses liens, ses sentiments relient Orlando à son passé, l’empêchent. Chacun des tableaux d’Orlando est d’une beauté saisissante, renvoyant également en sous-texte le discours permanent de la pièce sur le théâtre, son rôle, son essence : les gradins, les estrades, les scènes ou les mots “cours” et “jardin”  (parfois inversés, comme pour souligner la liberté de cet art) convoquent de façon permanente le théâtre.

La réussite de cette pièce ne tient pas qu’au texte, à la mise en scène ou à la scénographie : les comédiens, formidables, donnent à leur interprétation une profondeur stupéfiante. Magistralement dirigés, ils flirtent en permanence avec la grandiloquence, insufflant ainsi à l’ensemble l’esprit d’un mélodrame ou d’une tragédie, tout en s’engouffrant avec aisance dans les instants comiques et burlesques, parvenant à donner à l’ensemble un équilibre étonnant. Tous sont épatants, en particulier Matthieu Dessertine (déjà dans Les Enfants de Saturne et dans Roméo et Juliette de Py). Il incarne un Orlando parfait de contradictions, de désillusions (les mots Jeunesse Éternelle écrits en grand sur le décor), bouleversant de craintes et de doutes, de colères et de fragilité, habité par le besoin viscéral de certitudes de son personnage.

Qu’importe les quelques longueurs, les effets de style, l’écriture lyrique ou le ton parfois solennel, propres à Py, le tout de cet Orlando donne à réfléchir sur l’utilité du théâtre et ses possibles, propose une position assumée sur le rapport du politique à la culture et, dans un contexte autobiographique latent et humblement autocritique, offre à tous l’expérience d’un : un partage d’expérience altruiste, une aventure douloureuse dont l’apaisement peut être salvateur aux autres. Cet Orlando offre un moment de théâtre digne et fier.

Rick Panegy