Explorant encore le chemin de l’abstraction labyrinthique, le mélange quasi chimérique des formes et des mots, des gestes et des arts, le Théâtre du Radeau et François Tanguy proposent avec Soubresaut, une fois encore, une plongée absolue et directe au cœur de l’insondable et d’un quasi mysticisme. Étrange et loin de toute forme narrative, Soubresaut s’éloigne évidemment, avec une démarche totalement assumée, des codes de la représentation. Etrange et évocateur, insondable mais pas hermétique : Soubresaut se laisse pénétrer dès lors que le spectateur accepte de s’imprégner des sensations et des images provoquées par ce théâtre puzzle. Mosaïque de textes et de genres, passant de Paul Valéry à Peter Weiss ou de Kafka à Ovide comme il passe de l’absurde au drame ou du théâtre de la pensée à celui de la comédie, Soubresaut voyage au cœur de tous les possibles qu’offrent l’histoire, la littérature et le théâtre. On ne sait ce qui lie La répétition de Kiekegaard à L’affaire de la rue Lourcine de Labiche, ou ce qui porte Le Journal de Kafka à côtoyer Les Métamorphoses d’Ovide, mais le sens, s’éloignant dans les méandres d’une forme sans frontière, s’évapore au profit de sensations qui font appel à l’âme plutôt qu’à l’intellect.
L’élaboration sonore d’Eric Goudard et de François Tanguy participe évidemment de cette ambiance insolite, tantôt extravagante tantôt mystérieuse. Mêlée à du Bach ou du Rossini, cette identité sonore qu’entend le spectateur est à l’image de ce qu’il voit : une suite illogique et imbriquée sans règle, comme si les époques et les lieux se mélangeaient, pour recréer un monde où l’art et la représentation vivraient sans autre objectif que d’être, d’exister, comme tels et pour soi. Comme un rêve, un songe où tout est illogique, tout s’extrait de nos connaissances sans méthode ; Soubresaut mélange les textes des auteurs et les musiques des compositeurs comme autant d’éléments qui semblent habiter François Tanguy et sa troupe comme une définition d’eux-mêmes, presque épidermique, et qui vit, quasi-autonome, au cœur de leur âme d’artistes… Les costumes, anachroniques et hors-normes, faits de perruques et de robes d’époques, côtoient les accessoires qui passent sur le plateau, comme des éléments aussi vivants que les comédiens, avec la même rêverie loufoque que les comédiens. Balais, sceaux, planches et créatures fantasmagoriques habitent ce rêve à côté des mots qui surgissent presque d’un certains inconscient.
Théâtre protéiforme, polymorphe, Soubresaut est un catalogue enchevêtré d’impressions et de littérature, de sensations et d’images qui composent le théâtre pour en créer une nouvelle définition. Une sorte de rêve qui s’achèvent toutefois un peu trop brutalement.
Rick Panegy
[Festival d’Automne 2017 / Nanterre-Les Amandiers / Théâtre National de Strasbourg / Théâtre National de Bretagne / CDN Besançon / Théâtre Garonne]