Spectacle / Ordinary People – Jana Svobodova & Wen Hui

Vu au Festival d'Avignon 2019

Ordinary People est une sorte de « concert documentaire » ultra-technique, au sein duquel se côtoient musique (interprètes live et réalisateur sonore au plateau), vidéo en direct et témoignages des acteurs internationaux. Entre Prague et la Chine, ceux-ci ne parlent qu’en leur nom : les récits de vie s’enchaînent par-delà la fiction (et bien par-delà le domaine du théâtre). À vrai dire, le spectacle “indisciplinaire” de Jana Svobodová et Wen Hui réussit bizarrement à l’endroit où il pâtit, déployant des fulgurances performatives elles-mêmes noyées dans le fourre-tout des propositions. Autrement dit, le désordre dramaturgique d’ Ordinary People permet quelques pépites, que l’on découvrirait sur le sinueux détour d’un relatif ratage politique… À y voir les témoignages très “clichéisés” : e.g. le coup de la lesbienne de 25 ans qui danse sur une barricade en exprimant son faramineux désir de liberté (et la manière dont sa résistance intime est un combat collectif) ; c’est aussi vrai que “naphtaliné”.

(c) C.Raynaud de Lage

En réalité, les seules fulgurances sont visuelles — « cartonnées » pour être plus précis. Car les boîtes qui habitent le plateau sont toujours sujettes à de belles épiphanies : des corps ébahis qui veulent s’en émanciper, ou encore une pile de cartons qui s’invente fragilement avant de s’effondrer tout près des spectateurs. Les cartons sont déplacés à des fins dramaturgiques, contrairement au dispositif technique sur roulettes qui cherche en vain à recomposer des espaces de jeu ne démontrant pourtant que leur vide d’être. Il est dommage, en fin de compte, qu’ Ordinary People n’exploite pas plus radicalement sa velléité plastique : la vidéo reste du coup plutôt abstraite (à l’exception de l’amusante scène du « sang virtuel ») et l’imaginaire visuel est un peu en carton, au deux sens du terme. De sorte que la proposition devient malgré elle un melting pot de formes éculées : témoignage pseudo-engagé, anecdotes performatives, interludes musicaux et visuels sur fond de pugnacité politique. Sans aucun doute, chaque univers présente d’évidentes qualités réflexives — gare, pour autant, au consensus qui se dissimule parfois derrière le trop grand équilibre des formes. Autant dire que tous les kaléidoscopes ne se valent pas : comment l’indiscipline peut-elle désordonner plus subtilement ses dosages formels pour revigorer son ambition politique ?

Victor Inisan